Le temps des contradictions : épisode • 4 du podcast Thomas Sankara, l'homme qui allait changer l'Afrique

Thomas Sankara, accompagné du Président français François Mitterrand, lors de sa visite au Burkina Faso, le 17 novembre 1986 ©AFP - Daniel Janin
Thomas Sankara, accompagné du Président français François Mitterrand, lors de sa visite au Burkina Faso, le 17 novembre 1986 ©AFP - Daniel Janin
Thomas Sankara, accompagné du Président français François Mitterrand, lors de sa visite au Burkina Faso, le 17 novembre 1986 ©AFP - Daniel Janin
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Les discours novateurs, écologistes et anti-impérialistes de Thomas Sankara rayonnent plus que jamais et conquièrent la jeunesse africaine. Jusqu'à ce qu'en 1986, des luttes de pouvoirs, dont certaines ont partie liée à la Françafrique, rendent le climat politique à Ouagadougou délétère.

En ce début 1986, le ton de Thomas Sankara a changé. Plus insistant, moins idéologique et de plus en plus moraliste. Quelque chose de bienveillant s’est installé entre Sankara et le peuple burkinabé, et pourtant les tensions politiques entre grands chefs, les effets pervers des réformes, et les tentatives de coup d'État commencent à s’accumuler. Pour y faire face, Sankara ne voit pas d’autre solution que d’accélérer la cadence. Une ligne de chemin de fer est créée, des routes sont construites, on relie les grandes villes entre elles avec les premiers transports en commun et, en moins de six mois, il lance à travers tout le pays des campagnes de "vaccination commando", afin de protéger les enfants contre cinq maladies infantiles. Le tout sans aide financière extérieure. Simplement, en rendant quasi obligatoire le travail gratuit de tous pour les biens communs.

1986, l'année charnière

C’est alors qu'une initiative d'ordre strictement environnemental au départ va faire de la révolution burkinabé la première expérience d’éco-féminisme au monde. L’interdiction des feux de brousse, de la déforestation et de la divagation des animaux domestiques, couplée à une audacieuse politique de redistribution des terres, va accroître le pouvoir des Comités de Défense de la Révolution, bousculer l’ordre traditionnel mossi, et mettre la jeunesse au centre des enjeux.

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Mais – et c'est sans doute sa plus grande erreur – Thomas Sankara n'a pas arbitré suffisamment tôt les rivalités politiques et syndicales. Les stratégies et les manœuvres pour le pouvoir lui sont totalement étrangères. Le problème, c’est que le PAI (Parti africain de l’Indépendance) de Soumane Touré est l’une des trois composantes du gouvernement et du Conseil National de la Révolution. Héritier des combats entre structures gauchistes, le PAI accompagne Sankara depuis le début, en espérant bien prendre le contrôle de la révolution et renvoyer Sankara, les capitaines et leur armée dans leurs casernes.

Mitterrand/Sankara, une joute historique

Tout va se précipiter à l’automne 1986, alors que les tensions entre le Burkina et ses voisins d’Afrique francophone deviennent palpables. Le 13e sommet des chefs d’État et de gouvernements d’Afrique et de France se tient au Togo dirigé par Gnassingbé Eyadéma, qui déteste Sankara. Dès la fin de la conférence, Jacques Chirac s’envole en Côte d’Ivoire, tandis que François Mitterrand se rend à Ouagadougou pour sa première visite présidentielle au Burkina. On assiste ensuite à un moment d’histoire comme la Françafrique en a peu connu...

Le 17 novembre 1986, lors de la visite du président français, Thomas Sankara a un échange houleux avec François Mitterrand. Il dénonce violemment la politique étrangère de la France en Afrique et au Moyen-Orient, tout en faisant l’éloge de son interlocuteur, en citant notamment de larges extraits de ses livres. Pendant plus d’une demi-heure d'entretien, Sankara alterne propos moralisateurs et indignés, marques de flatterie ou d'authentique respect, jusqu’au moment fameux où il aborde la question de l’apartheid en Afrique du Sud et les récentes visites de dirigeants sud-africains en France. Les deux présidents poursuivent leur entretien devant un auditoire sidéré qui ne comprend pas ce qui se joue.

Pourtant, trente ans plus tard, un secret se révèle : François Mitterrand et Thomas Sankara s’étaient mis d’accord, par l’intermédiaire de Guy Delbrel, pour avoir cette joute. Et l’un comme l’autre s’étaient entendu pour n’en faire aucun commentaire : "C’est pour l’histoire" avait tranché Edgar Pisani, le nouveau Monsieur Afrique de François Mitterrand.

Depuis François Mitterrand, ce sont surtout les chefs d’État africains qui régentent la politique de l’Afrique, mettant Paris dans la délicate position de devoir entériner leurs priorités si elle veut converser son influence. Concernant le Burkina, c’est la Côte d’Ivoire et son président Félix Houphouët-Boigny qui agitent les milieux de droite à Paris. C’est Houphouët-Boigny qui glisse le nom de Blaise Compaoré comme "solution" au problème Sankara. Blaise Compaoré se sent pousser des ailes et l’atmosphère à Ouagadougou devient de plus en plus poisseuse...

Cultures Monde
58 min

Une Grande Traversée co-produite par Christophe Nick et Somany Na, réalisée par Somany Na.
Quatrième épisode avec :

  • Damata Ganou, coordinatrice des comités de Défense de la Révolution, sous le Conseil National de la Révolution, mené par Thomas Sankara
  • Michel Kouda, ministre de l'Eau sous le Conseil National de la Résistance (CNR)
  • Guy Delbrel, ancien conseiller de Thomas Sankara
  • Fidèle Toé, ami d'enfance et ancien ministre de la Fonction publique sous le CNR
  • Thierry Secretan, photographe et journaliste
  • Jean Hubert Bazié, directeur de l'information puis directeur de la publication du journal satirique L'Intrus
  • Armelle Faure, ethnologue et anthropologue, autrice de Révolution et sorcellerie, une ethnologue au Burkina Faso, (Elytis, 2020)
  • Daniel Tranchant, médecin, chef des services médicaux au Burkina Faso au temps de la révolution sankarienne
  • Augusta Conchiglia, journaliste

Bibliographie indicative :

Prise de son à Paris, Mai Tran Phuong et Yann Fressy, prise de son à Ouagadougou Eric Audra ; mixage : Pierre Henri. Merci à Antoine Vuilloz de la discothèque de Radio France et à Véronique Le Falher de la bibliothèque de Radio France ainsi qu'à Parfait Bako à Ouagadougou. Coordination : Christine Bernard.

En partenariat avec la plateforme BrutX

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