Le Maroc épinglé pour ses techniques de répression politique par Human Rights Watch

Publicité

Le Maroc épinglé pour ses techniques de répression politique par Human Rights Watch

Par
Des militants des droits humains qui protestent contre une "campagne de répression" menée par le Maroc, à Rabat, le 9 janvier 2020.
Des militants des droits humains qui protestent contre une "campagne de répression" menée par le Maroc, à Rabat, le 9 janvier 2020.
© AFP - Fadel Senna

L’ONG Human Rights Watch vient de sortir un rapport inédit sur le Maroc : “un manuel des techniques de répression au Maroc”, ou comment, depuis une dizaine d’années, le gouvernement marocain réprime les opposants et les journalistes critiques.

Téléphone mis sous surveillance, caméra cachée dans les logements, agression dans la rue, peine de prison. Voilà un extrait des techniques de répression marocaines dépeintes par le nouveau rapport de Human Rights Watch. Appelé "manuel", l’ONG décrit en 140 pages les différentes manières utilisées par le gouvernement du Maroc pour faire taire l’opposition depuis une dizaine d’années. "Cela inclut des procès pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ce que l’État reproche vraiment à ces gens, à savoir s’exprimer, avoir des opinions politiques qui sont divergentes. Bien entendu, personne n’est à l’abri de poursuites s’il y a des allégations criminelles, un journaliste pas plus que les autres, mais là les procès ne sont pas justes", s’indigne Ahmed Benchemsi, directeur de la communication de Human Rights Watch pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord. "Vous avez des opposants qui prennent cinq ans de prison pour agression sexuelle ou détournement de fonds, d’autres qui sont soumis à de la surveillance par des logiciels-espions dans leur téléphone, d’autres qui sont filmés intimement chez eux. Il y a tout un éventail de techniques."

En plus de ces techniques répressives, les opposants subissent des campagnes de harcèlement dans les médias pro-Makhzen, c’est-à-dire proches du palais royal ou des services de renseignement marocains. En 2020, 110 journalistes marocains ont signé un "Manifeste contre les médias de diffamation" dénonçant des "articles diffamatoires sans aucune éthique professionnelle, voire enfreignant les lois organisant la presse au Maroc".

Publicité

"D’une manière ou d’une autre, ils t’auront"

Le rapport détaille plusieurs cas pour comprendre les différents moyens de pression que subissent les opposants au régime. On peut par exemple lire l’histoire de Maati Monjib, historien et activiste politique de 60 ans. "Cet homme-là a tout subi", commente Ahmed Benchemsi. A l’origine du lancement d’un front d’opposition, il a été suivi pendant plusieurs années, et même menacé. Le 14 juillet 2014, un inconnu attrape l’épaule de Maati Monjib dans une rue de Rabat et lui souffle "Tu pues de la bouche, tu devrais la fermer." Deux mois plus tard, une autre personne l’interpelle dehors : "Si tu ne te tais pas, Daech va s’occuper de toi". Dans les médias, l’historien a reçu une "avalanche d’articles diffamatoires", note le rapport. En tout, 645 pages mentionnant Maati Monjib ont été comptabilisés par Human Rights Watch. "Dans ces publications, il y a des allégations très tendancieuses sur sa vie privée, des informations qui n’ont pu être obtenues que par de la surveillance", ajoute Ahmed Benchemsi. Son téléphone a d’ailleurs été répertorié par Amnesty International dans ceux infectés par le logiciel espion Pegasus en 2019. Entre-temps, Maati Monjib est interdit de sortir du territoire marocain dans le cadre d’une enquête sur des "irrégularités financières". En 2020, il passe trois mois en prison. "Il a été arrêté pour une accusation de détournement de fonds d’ONG internationales alors qu’elles ne se sont jamais plaintes de rien. Il y en a même une qui a communiqué, disant que c’était un partenaire de travail exemplaire", s’offusque le directeur de communication de Human Rights Watch.

Et Maati Monjib n’est qu’un cas parmi d’autres. Fouad Abdelmoumni, par exemple, activiste des droits humains de 64 ans qui exprime beaucoup ses opinions sur les réseaux sociaux et dans la presse internationale. Lui aussi a été surveillé numériquement, mais il a également été victime d’une autre technique de répression : celle de la vidéosurveillance secrète au sein de son domicile. "Il y avait des caméras planquées chez lui, dans les climatiseurs. Des vidéos intimes avec sa partenaire de l’époque, qui n’était pas encore son épouse, ont été diffusées à tous les membres de sa famille, sachant qu’au Maroc la sexualité hors mariage est un tabou social et un interdit légal", explique Ahmed Benchemsi.

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Un rapport inédit

Plusieurs de ces situations ont déjà été médiatisées. Mais ce qui rend ce rapport inédit, d’après Ahmed Benchemsi, c’est l’accumulation des preuves : "toutes ces techniques de répression ont un point en commun : c’est que l’État peut s’en laver les mains à tout moment, en disant « mais moi je n’y suis pour rien, la justice est indépendante, ces sites web sont privés, la police fera son travail et enquêtera. Mais avec ce rapport, on met bout à bout tous ces incidents et on montre qu’il y a un lien : tous ces gens sont des opposants. Et quand on met tous ces exemples ensemble, c’est évident qu’on ne peut plus dire « je n’y suis pour rien »."

D’après l’ONG, le Maroc est le premier pays à utiliser autant de techniques de répression. "Aucune de ces méthodes n’a été inventée par le Maroc. Mais le fait qu’il les systématise comme ça et qu’il les utilise d’une manière aussi dense contre un petit groupe d’opposants fait que c’est devenu LE moyen que l’État a trouvé pour gérer l’opposition, tout en continuant à clamer être un État qui respecte la liberté de parole et d’expression. On dénonce cette hypocrisie par 140 pages de preuves."

Avec ce manuel, Human Rights Watch veut attirer les yeux de la communauté internationale sur le Maroc. "Jusqu’à présent, les chancelleries occidentales se contentaient d’être très prudentes et les arguments étaient tellement bien tournés qu’elles s’en saisissaient volontiers. Là, un des objectifs de ce rapport est que la communauté internationale ne puisse plus se dire cela. Une fois que ce sera fait, on fera notre travail de plaidoyer pour que les partenaires étrangers du Maroc fassent pression sur le gouvernement, pour qu’il cesse d’harceler l’opposition et de réprimer la liberté de parole."

L'Enquête des Matins du samedi
4 min

Depuis dix ans, ce phénomène de répression est croissant. L’année 2021 bat d’ailleurs tous les records. D’après l’Association marocaine des droits humains (AMDH), membre observateur du Conseil économique et social de l’ONU, 2021 a été une année de "répression sans précédent" au Maroc, en matière de liberté d’expression et de la presse. En un an, 170 journalistes et militants ont été arrêtés ou poursuivis et plus de 140 manifestations ont été interdites sous prétexte de l’état d’urgence sanitaire.