Luttes d'influences sur le terrain africain

Chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et son homologue éthiopien Demeke Mekonnen lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba (Ethiopie), 27 juillet 2022 ©AFP - Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP
Chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et son homologue éthiopien Demeke Mekonnen lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba (Ethiopie), 27 juillet 2022 ©AFP - Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP
Chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et son homologue éthiopien Demeke Mekonnen lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba (Ethiopie), 27 juillet 2022 ©AFP - Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP
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Comment l'Afrique est-elle (re)devenue un terrain géostratégique ? Les tournées diplomatiques de Sergueï Lavrov et d'Emmanuel Macron illustrent combien le continent reste un partenaire stratégique considérable, tant d'un point de vue économique que politique.

Avec
  • Seidik Abba Journaliste et écrivain nigérien, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel (CIRES)
  • Alain Antil Directeur du centre Afrique subsaharienne à l'IFRI, enseignant à l'Institut d'Etudes Politiques de Lille et à Paris I Sorbonne

Surfant sur une vague pro-russe diffuse en Afrique, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov réaffirme le soutien économique, politique et militaire de la Russie sur le continent. Il a ainsi entamé une tournée diplomatique qui chevauche celle d’Emmanuel Macron. Comment l’Afrique est-elle redevenue un terrain géostratégique majeur pour les puissances mondiales ? Mais surtout, comment les pays africains ont-ils réussi à tirer profit de ces concurrences internationales ?

Des tournées diplomatiques en pleine guerre d'Ukraine

Sergueï Lavrov a entamé une tournée express en Afrique depuis le 23 juillet. Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron rejoignait aussi le continent. Un bel exemple de la concurrence que se livrent les puissances occidentales et la Russie sur le terrain africain. Alain Antil considère qu'il y a "un affrontement de deux narratifs sur cette crise alimentaire. D'un côté, les Occidentaux, en l'occurrence Emmanuel Macron, accusent la Russie de bloquer les ports ukrainiens et donc de participer à la famine, à la montée des prix des céréales et en particulier du blé. Et l'objet principal de la visite de Sergueï Lavrov, c'est d'offrir un contre narratif aux pays africains en leur disant qu'un certain nombre de sanctions occidentales sur les engrais et sur les céréales créent un surcoût des exportations russes. C'est le cœur de la visite des deux leaders politiques". Il faut noter par ailleurs que ces sanctions "ne sont pas des sanctions directes, mais ce sont des sanctions financières ou bancaires".

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Une histoire d'influences

La montée en force de la Russie sur le continent s'explique par un désinvestissement progressif des pays occidentaux en Afrique, dont la France. Pour Seidik Abba, il faut ainsi garder en tête que "l'Afrique a toujours été un terrain de rivalités entre les puissances. Les choses se sont accélérées avec le contexte international d'aujourd'hui [marqué par] la rivalité, la guerre en Ukraine où chaque partie essaie de s'assurer le soutien total de l'Afrique. Le contexte africain lui même est marqué par des crises ou certains, notamment au Sahel, pensent que les alliés traditionnels n'ont pas donné tout ce qu'ils auraient pu donner et se sont mis à la recherche de nouveaux acteurs. Des pays comme la Centrafrique, comme le Mali et d'autres pays se sont ouverts à de nouveaux acteurs. La Russie, ayant vu cette brèche ouverte, a essayé de s'engouffrer pour capter des positions et essayer de vendre l'idée que le partenariat traditionnel n'est plus efficace et qu'il faut renouveler ce partenariat".

Pourquoi les pays occidentaux ont-ils un temps regardé ailleurs ? Pourquoi la France semble-t-elle revenir sur ces positionnements passés ? Seidik Abba propose une recontextualisation historique au regain d'intérêt pour l'Afrique et à l'institutionnalisation des relations : "on sait que la France, à partir de 1973, avait institutionnalisé le sommet Afrique-France, qui était au départ réservé aux pays francophones et après qui s'est élargi aux pays lusophones, anglophones, à toute l'Afrique. Et aujourd'hui, on parle même d'une troisième dimension de ce type de sommets, avec une plus grande place donnée aux sociétés civiles africaines. Je crois que si on regarde un peu ces sommets, eux aussi sont devenus le symbole des rivalités entre les différentes puissances sur le continent africain. La Turquie a maintenant son sommet avec l'Afrique, la Chine a son sommet avec l'Afrique, la Russie à son sommet avec l'Afrique. Donc il y a ces sommets là qui sont devenus une sorte de volonté, justement, de créer ce nouveau lien avec le continent africain. L'enjeu est de savoir comment les Africains s'organisent pour tirer le meilleur profit".

La force sécuritaire et militaire russe en Afrique

Si divers acteurs étatiques interviennent en Afrique, la spécificité de la Russie repose dans son investissement pour une coopération sécuritaire et militaire. Pour Alain Antil, "les autorités maliennes, sachant que la France avait annoncé la fin de Barkhane, ont décidé à la hâte, en septembre de l'année dernière, de contracter avec cette société privée Wagner. Pour la Russie, c'est doublement bénéfique parce que à la fois c'est une présence russe et on peut dire qu'on n'est pas au courant, ou en tout cas l’État russe n'est pas engagé. Mais de facto, la junte a changé d'alliance. Elle s'est privée de son principal allié dans la lutte antiterroriste et a dû se rapprocher d'une société militaire privée".

Mais pour Seidik Abba, il faut aussi faire attention au retournement des opinions : "il faudra interroger le retournement de l'opinion. Lorsque la France a commencé l'opération Serval, elle a été accueillie avec des youyous, avec des tamtam, avec l'espoir de libérer le Nord-Mali de l'occupation des groupes jihadistes. Et ce contrat a été parfaitement rempli. Je crois que l'incompréhension est venue à partir du basculement de Serval à Barkhane. Barkhane avait pour ambition je lutter contre le terrorisme sur l'ensemble du Sahel et non plus au Mali. Mais l'ensemble du Sahel, c'est un territoire à peu près cinq fois plus vaste que la France ! Dès le départ, l'ambition était elle même démesurée. On s'est retrouvé dans la situation où neuf ans après, la France n'a pas réussi à contenir l'expansion territoriale de la menace. Au début de Barkhane, c'était peut être que 20% du Mali alors qu'aujourd'hui, c'est presque l'ensemble du Mali [qui est occupé par les djihadistes]. Et le terrorisme s'est exporté au Niger, s'est exporté au Burkina."

Une défaillance militaire qui "peut s'expliquer aussi par le choix du tout militaire et sécuritaire. Ce n'est pas que la France qui est responsable mais aussi les pays aussi qui ont pensé résoudre l'insécurité au Sahel par les moyens militaires, sans intégrer la dimension gouvernance, le développement. Cette absence de résultats suffisants a alimenté l'incompréhension avec une absence de valeur ajoutée de la présence militaire française. Et aujourd'hui, les Russes se sont engouffrés avec la propagande en disant que les Français sont resté neuf ans sans rien donner. Et tout ça a construit aujourd'hui ce rejet de l'absence de résultat, de rejet de la présence militaire française"

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