Festival d’Avignon : une comédienne ukrainienne raconte l'histoire, la culture et la liberté de son pays

Parmi d’autres affiches accrochées dans les rues d’Avignon, celle de la pièce “Ukraine, mon amour” : un cri d’amour de la comédienne Irina Lytiak pour son pays. ©Radio France - Benoît Grossin
Parmi d’autres affiches accrochées dans les rues d’Avignon, celle de la pièce “Ukraine, mon amour” : un cri d’amour de la comédienne Irina Lytiak pour son pays. ©Radio France - Benoît Grossin
Parmi d’autres affiches accrochées dans les rues d’Avignon, celle de la pièce “Ukraine, mon amour” : un cri d’amour de la comédienne Irina Lytiak pour son pays. ©Radio France - Benoît Grossin
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Dans “Ukraine, mon amour”, un spectacle autobiographique écrit dans l’urgence, Irina Lytiak explique les dessous de sa création : la guerre et le soutien de son ancien metteur en scène russe à Vladimir Poutine. Des amies réfugiées l’accompagnent artistiquement dans le tractage à Avignon.

La guerre en Ukraine est un des thèmes des lectures, conférences, rencontres ou débats au Festival d’Avignon. Deux journées exceptionnelles intitulées Chers voisins ! De Sarajevo 1992 à Kiev 2022 ont été programmées les 13 et 14 juillet à l’église des Célestins, dans le cadre des Ateliers de la pensée du "in". Des tables rondes se sont tenues également dans le village du "off", lieu de rencontres des professionnels : Ukraine, quelle parole artistique en temps de guerre ? et L’artiste à l’épreuve de la guerre, les 10 et 17 juillet.

Sur scène, six chanteuses punks ukrainiennes du groupe Dakh Daugthers vont se produire en concert avec Olivier Py, en clôture du "in", le 26 juillet à l’Opéra Grand Avignon. Et il y a aussi une expression de la culture ukrainienne dans le "off" : une pièce jouée chaque lundi au théâtre La Condition des Soies : Ukraine, mon amour.

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Ecrit en quelques jours, dans l’urgence, dès le début de la guerre en mars dernier, ce spectacle est autobiographique, avec deux comédiens sur scène : une Ukrainienne originaire de Kiev, installée à Lyon depuis sept ans, et un Français.

“Une traditionnelle berceuse que mon arrière-grand-mère me chantait quand j’étais petite” : Irina Lytiak, joue son propre rôle dans “Ukraine, mon amour”.
“Une traditionnelle berceuse que mon arrière-grand-mère me chantait quand j’étais petite” : Irina Lytiak, joue son propre rôle dans “Ukraine, mon amour”.
© Radio France - Benoît Grossin

"Mon arrière-grand-mère m'a appris à aimer la culture ukrainienne"

A travers son histoire personnelle, Irina Lytiak, dans Ukraine, mon amour, raconte l’histoire et la culture de son pays, avec des poèmes et des chansons dont une berceuse : "Une traditionnelle berceuse ukrainienne que mon arrière-grand-mère me chantait quand j’étais petite. Elle m’a appris à aimer la langue ukrainienne, à aimer la culture et à aimer tout court."

Irina Lytiak aimait il y a quelques mois encore être dirigé pour un autre spectacle, la pièce Un autre homme, par un metteur en scène russe, jusqu’à ce que la guerre les divise profondément. Ce pro-poutine "pensait vraiment que ce n’était pas la guerre, mais une opération militaire et que les Ukrainiens l’avaient cherché depuis huit ans. Les Ukrainiens, selon lui, avaient commencé la guerre. Ce n’était plus possible de travailler ensemble !", s’exclame-t-elle.

La comédienne évoque cet épisode sur scène : "Moi, je suis Ukrainienne et je n’ai rien contre les Russes, ni contre la culture russe. Mon père habite à Moscou, avec ma demi-sœur et mon demi-frère. Mais je ne peux pas présenter la mise en scène d’une personne qui pense que l’Ukraine a ce qu’elle mérite ! Et qui en plus dit cela à ma copine qui est maman de trois enfants et qui en ce moment précis, avec ses trois enfants, se cache dans le sous-sol pour éviter les bombes... On va écrire un nouveau spectacle !"

Irina Lytiak et François Mayet racontent la naissance en urgence de leur spectacle face à la position pro-poutine de leur ancien metteur en scène russe.
Irina Lytiak et François Mayet racontent la naissance en urgence de leur spectacle face à la position pro-poutine de leur ancien metteur en scène russe.
© Radio France - Benoît Grossin

"Je suis ce qu'un Français pense de l’Ukraine, je ne sais rien"

Après l’annulation des représentations déjà programmées à Lyon de la pièce Un autre homme et plutôt que d’organiser des débats à la place, elle se lance donc dans ce nouveau spectacle inventé dans l’urgence, en quelques jours, pour répondre aux "mille et une questions des Français" qui lui ont envoyé des messages de soutien : Ukraine, mon amour dans lequel Irina Lytiak se met notamment dans la peau des Cosaques zaporogues, considérés comme les premiers Ukrainiens. Et elle entame un dialogue avec son partenaire de jeu, François Mayet :

Irina : "En 1557, on est sur l’île Khortytsia, dans Saporizka Sich"

François : "L’île Khortytsia, c’est sur la mer noire ?"

Irina : "Non ! C’est sur le Dnipro !"

François : "Ah, le fleuve qui passe par Kiev... d’accord"

Irina : "Et c’est là où voit pour la première fois le jour la république libre de cosaque d’Ukraine, Saporizka Sich. Tu parles ukrainien ?"

François : "On va dire que oui. Da !"

Irina : "Pas da ! Tak !"

François : " Ah, ça aussi c’est différent ? "

Irina : "Oui, c’est différent"

François : " Tak ! "

François Mayet, joue le rôle du Français qui a tout à apprendre de l’Ukraine : "Je suis ce que les Français pensent de l’Ukraine, c’est-à-dire que je ne sais rien. Je suis naïf et je pose des questions. J’ai des a priori, des clichés à propos de l’Ukraine. Mon personnage croit que la Russie et l’Ukraine c’est pareil, que l’ukrainien est un dialecte russe alors qu’en fait c’est une langue à part. Il y a de nombreux clichés aussi dans l’histoire de l'Ukraine. Dans le spectacle, on en parle beaucoup. On se rend compte très vite que c’est une éternelle répétition, que la Russie à constamment attaqué l’Ukraine pour annexer ce pays et en faire une province."

Le Cours de l'histoire
52 min
Dans “Ukraine, mon amour”, Irina Lytiak raconte l’histoire des Cosaques zaporogues, au cœur de l’identité nationale ukrainienne.
Dans “Ukraine, mon amour”, Irina Lytiak raconte l’histoire des Cosaques zaporogues, au cœur de l’identité nationale ukrainienne.
© Radio France - Benoît Grossin

"C’est mon Ukraine, c’est ma famille, c’est moi !"

C’est en musique et par un chant de sirène d’alerte aux bombardements que débute le tractage auprès du public, dans les rues d’Avignon, avec trois réfugiées ukrainiennes qu'Irina Lytiak, accueille ainsi que leur famille, chez elle, à Lyon, depuis le mois de mars. Trois amies dont Tania, au violon : “Jouer du violon pour la pièce Ukraine, mon amour, c’est une grande joie et une inspiration à de meilleures pensées et de meilleurs sentiments. C’est mon Ukraine, c’est ma famille, c’est moi !

Et elles reprennent a cappella Oï ou louzi tchervona kalyna (Oh, les baies rouges de viorne dans la prairie), une marche patriotique écrite pendant la Première Guerre mondiale, en l'honneur et à la mémoire des tirailleurs du Sitch. Cette chanson populaire est devenue l’hymne de la résistance ukrainienne à l'envahisseur russe :

Ой у лузі червона калина похилилася,

Oh, dans la prairie, la viorne rouge s'est penchée,

Чогось наша славна Україна зажурилася.

Pour une raison quelconque, notre glorieuse Ukraine est désespérée.

А ми тую червону калину підіймемо,

Mais nous relèverons tes fruits rouges,

А ми нашу славну Україну, гей, гей, розвеселимо!

Et nous remonterons le moral de notre glorieuse Ukraine, hey, hey !

Sourire aux lèvres, une autre amie réfugiée d’Irina Lytiak et comme elle comédienne, Xsenia, est heureuse de participer artistiquement au tractage pour le spectacle : “Chanter aujourd’hui pour moi, c’est une belle opportunité de toquer à la porte du cœur des Français. Car ce qui se passe actuellement en Ukraine, la guerre, est très difficile pour nous”.

En chant et en musique, trois artistes réfugiées ukrainiennes : Tania, Irina et Xsenia participent au tractage, dans les rues d’Avignon.
En chant et en musique, trois artistes réfugiées ukrainiennes : Tania, Irina et Xsenia participent au tractage, dans les rues d’Avignon.
© Radio France - Benoît Grossin

"Nous, nous avons juste cherché notre liberté"

En complète opposition avec la chanson patriotique Oï ou louzi tchervona kalyna, une vidéo de propagande russe, un dessin animée destiné aux enfants, ouvre le spectacle Ukraine, mon amour. Après une forte dispute à l’école entre deux enfants, un Ukrainien "violent" et un Russe "pacifique", la voix off conclut que : "C’est presque la même histoire qui est arrivée entre les deux pays frères, l’Ukraine et la Russie. Une longue amitié a été détruite par l’histoire des régions, Donetsk et Lougansk. L’Ukraine a commencé à opprimer la population russe de ces régions. Alors, elles ont voulu se séparer et rejoindre la Russie. Mais l’Ukraine n’était pas d’accord. Elle a commencé à faire la guerre à ces deux territoires."

Irina Lytiak a choisi de l’exposer pour que le public se mette dans la peau d’un Russe ou d’un Ukrainien : "Parce que même quand moi je regarde la propagande, pendant un dixième de seconde, j’y crois. Et après, je suis obligé de me reprendre et de me dire non, ce n’est pas possible. Cette vidéo affirme que l’Ukraine a d'abord attaqué les Russes et cela parle d’un complot avec l’Union européenne. Ce sont des mensonges, évidemment. Nous, nous avons juste cherché notre liberté."

Irina Lytiak et François Mayet à la rencontre de festivaliers, avant les représentations de leur spectacle “Ukraine, mon amour”.
Irina Lytiak et François Mayet à la rencontre de festivaliers, avant les représentations de leur spectacle “Ukraine, mon amour”.
© Radio France - Benoît Grossin

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