Prise de contrôle d’Hachette par Vivendi : "La financiarisation de l’édition m’inquiète"

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Prise de contrôle d’Hachette par Vivendi : "La financiarisation de l’édition m’inquiète"

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F Nyssen en juin 2019. Si la fusion d'Editis et Hachette ne devrait pas avoir lieu, le rachat d'Hachette par Vivendi inquiète toujours le secteur de l'édition.
F Nyssen en juin 2019. Si la fusion d'Editis et Hachette ne devrait pas avoir lieu, le rachat d'Hachette par Vivendi inquiète toujours le secteur de l'édition.
© Maxppp - Cyril HIELY / La Provence

La fusion d'Editis et Hachette ne devrait pas avoir lieu. Le groupe Vivendi a annoncé vouloir céder sa filiale Editis. Depuis plusieurs mois, le secteur était vent debout contre ce rapprochement annoncé. Aujourd'hui, Françoise Nyssen, d'Actes Sud, évoque une avancée mais des inquiétudes persistent.

Le groupe Vivendi a finalement renoncé à son projet contesté de fusion entre Editis et Hachette, propriété de Lagardère, numéro un de l’édition. Le géant des médias a annoncé la semaine dernière céder entièrement Editis et peut ainsi conserver, le groupe Hachette. Ce projet de fusion était fortement contesté dans le secteur de l’édition et risquait de se heurter au blocage de Bruxelles, en raison de la position dominante que le groupe aurait acquise. L’ancienne ministre de la Culture et présidente du directoire des éditions Actes Sud, Françoise Nyssen, souligne une avancée mais s’interroge sur le panorama de l’édition en France à l’avenir et sur les possibles rationalisation et financiarisation du secteur. Entretien.

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Que pensez-vous de l’abandon de cette fusion ?

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D’une certaine façon, c’est une avancée. On ne va pas vers le pire qui était une entité qui aurait représenté à ce jour plus de 60% de la distribution des ouvrages en librairie pour citer un chiffre extrêmement éloquent dans un ensemble constitué à la fois sur les plans financier, marketing, communication ou encore sur le plan de tous les débouchés de droits dérivés des cessions à l’étranger, de façon tout à fait anticoncurrentielle. C’est abandonné donc c’est une avancée.

Mais des inquiétudes persistent ?

Des inquiétudes persistent car Vivendi en vient à se séparer d’un fleuron de l’édition, Editis qui représente en termes de chiffre d’affaires 0,7 milliard d’euros. Ce qui est bien, c’est qu’il est cédé globalement car cela aurait posé des problèmes de cohérence, notamment pour la distribution. Car cet ensemble représente de nombreuses maisons d’éditions remarquables, dans tous les domaines : littérature, sciences humaines, scolaire, jeunesse… Et il a déjà subi beaucoup de transformations et de mutations, de changement d’actionnariat. Cela doit être le 5e ou 6e depuis sa création. Il est certain que l’on doit désormais avoir plus de clarté sur qui seront les actionnaires de cette entité et quel sera son avenir par rapport à ce qu’est l’édition.

Et concernant Hachette ?

Vivendi reprend Hachette (qui représente plus de 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires), qui est aussi un groupe très conséquent et représente de très nombreuses maisons d’édition : Fayard, Grasset, Stock, Le Livre de poche, le scolaire, l’édition pour enfants, les essais… Enormément de choses qui marquent le paysage et l’histoire de la transmission du sensible et du savoir en France. Tout cela vient au sein d’un groupe conséquent, au titre d’audiovisuel : Canal +, de médias : Europe 1, CNews, des journaux, et financiers, avec des possibilités de déclinaisons, sur le web et à l’étranger. Ils ont une forte capacité d’action et donc d’attraction. Ce qui peut être craint, c’est que si le rachat est de créer un acteur en position de domination sur le marché de l’édition et de la diffusion du livre, c’est une menace pour le maintien d’une diversité d’acteurs qui sont la condition de la diversité de l’offre éditoriale qui fonde le modèle culturel française, cette exception française. Nous restons donc très vigilants et attentifs à ce qui va se passer en termes de conglomérats et de concentration verticale puisque les moyens acquis de Vivendi au titre d’Hachette seront conséquents. Et ce sont par conséquent des possibilités d’action forte. Une campagne promotionnelle peut permettre de faire monter un livre à des niveaux où il n’aurait pas été sans cela. Quand on est à la tête de nombreux médias, on peut être influent. On voit d’ailleurs l’effet qu’a eu la publication du livre d’Éric Zemmour, auto-distribué par Editis, sa présence dans les médias… C’est un média qui permet une influence. Donc il est absolument indispensable de garder la pluralité d’expression, des sujets, des sensibilités, cela ne peut pas être le fait d’un seul groupe, c’est extrêmement dangereux.

Le nom "Bolloré" vous inquiète-t-il également ?

Je ne le connais pas personnellement, ce n’est pas son nom qui m’inquiète mais la financiarisation de l’édition. Ce n’est pas un métier qui a besoin de cela. C’est un métier du temps long, c’est très différent d’une certaine façon des médias. Accompagner un livre, cela se fait sur le temps, pas dans une urgence et une immédiateté. Il y a des livres d’actualité qui sont publiés dans l’urgence mais d’une manière générale, que ce soit la littérature, les essais, c’est un métier de temps long. Et pour cela, il faut des éditeurs qui travaillent dans ce sens-là, des libraires qui ont la capacité de défendre cela sur le temps long. Et c’est aussi une vraie question. Que se passe-t-il si un seul groupe est au titre de la plupart des mouvements vers la librairie et donc a une forme de mainmise sur la librairie toute indépendante qu’elle soit ? Il y a aussi la question des conditions commerciales qui leur sont faites. Car la librairie constitue un stock et doit pouvoir se maintenir, avec les loyers souvent dans des centres urbains où la pression immobilière est forte. Tout cela ne peut se faire que dans cet écosystème cohérent autour de ce qu’est l’édition, le livre, qui n’est pas un produit comme les autres, ni un produit d’hyper rentabilité. Les librairies qui sont des lieux privés sont des lieux d’utilité publique. Ce sont des lieux de partage du sens, de rencontres, d’échanges, de vie.

Les décisions de création se font souvent dans de petites structures. Depuis des années, il y a un nombre important de petites ou moyennes maisons d’éditions, qui se sont constituées et où se trouve une grande partie de l’émergence des nouveaux auteurs. Les auteurs primés ou très reconnus après ont souvent d’abord démarré dans des petites maisons d’édition, c’est là que sont les foyers de la création et ils sont indispensables. Mais face à un tel mastodonte, comment pourront-ils continuer à survivre ?

En France, il y a aussi 16 000 médiathèques. Cela signifie qu’il y a une diversité d’accès aux livres à travers les médiathèques, il faut donc qu’elles soient nourries par une diversité. L’édition aujourd’hui, c’est certes quelques grandes structures et groupes mais aussi, rien qu’au Syndicat national de l’édition, plus de 700 éditeurs inscrits. Ce qui est à l’image de cette diversité qui doit être maintenue, sinon c’est la pensée unique.

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