Du soutien à la résignation : l'opinion russe devant l'enlisement de la guerre en Ukraine

À Moscou, un panneau d'affiche aborde l'inscription : "tout va bien se passer pour nous" ©AFP - Natalia KOLESNIKOVA
À Moscou, un panneau d'affiche aborde l'inscription : "tout va bien se passer pour nous" ©AFP - Natalia KOLESNIKOVA
À Moscou, un panneau d'affiche aborde l'inscription : "tout va bien se passer pour nous" ©AFP - Natalia KOLESNIKOVA
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Alors qu'en Ukraine, l'armée russe continue de s'enfoncer dans une guerre d'usure sans signe d'accalmie, l'opinion publique russe reste muette, sinon muselée. Comment expliquer l'apathie de la société russe vis-à-vis de la guerre d'agression menée dans le pays voisin ?

Avec
  • Vera Ageeva Professeure associée de la Haute école des études économiques en Russie, spécialiste du soft power russe
  • Cécile Vaissié Professeure en études russes et soviétiques à l’université Rennes 2. Spécialiste de l’histoire des intellectuels en URSS et des politiques d’influence soviétiques et russes

En Russie, difficile de connaître l'état réel de l'opinion publique, après presque 6 mois de guerre en Ukraine. Entre une répression implacable des dénonciateurs de "l'opération spéciale" menée en Ukraine et une propagande qui rejette toute responsabilité sur l'Occident, la population semble résignée à soutenir la guerre offensive menée par ses dirigeants.

Pour en parler, les Matins accueillent Vera Ageeva, professeure associée de la Haute école des études économiques en Russie et doctorante à Sciences Po et Cécile Vaissié, professeure d'études russes et soviétiques à l'université Rennes-II.

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Une adhésion difficile à mesurer

Les sondages réalisés auprès de la population sont par exemple à prendre avec beaucoup de recul. Pour Vera Ageeva, "il faut traiter ces données avec beaucoup de prudence parce que ces données sont souvent manipulées et sont en quelque sorte commandées par l'Etat. [...] Donc il faut être assez prudent pour ne pas répéter cette propagande. Et pour analyser, malheureusement, il faut aller chercher en détail. Dans des couches régionales, par exemple, il y a des fils sur Telegram ou bien des médias régionaux en Russie." 
Pour Cécile Vaissié, l'auto-censure est également très présente : "Si quelqu'un vous appelle et vous demande : que pensez-vous de l'opération spéciale? Vous n'allez pas être honnête. Alors peut-être que vous êtes fier, peut-être que vous aimez Poutine et peut-être que vous le soutenez... Ou peut-être pas et dans ce cas vous n'allez pas le dire. Effectivement, ces sondages quantitatifs ne peuvent pas être pris au sérieux dans un contexte qui est absolument liberticide, parce que les gens cherchent à préserver leur sécurité avant tout."

Si toute forme de contestation est réprimée, des actes de solidarité avec le peuple Ukrainien semblent exister. "Moi je pourrais pas le chiffrer, mais on voit en Russie des gens qui aident les Ukrainiens qui ont été déportés, explique Cécile Vessier. En Russie, il y a des réseaux d'aide, ça représente pas 90 % de la société russe, bien sûr que non, mais il y a des gens qui aident, qui hébergent, qui payent. Il y a des collectes pour des billets de bus ou de trains, pour que les gens puissent repartir en Ukraine. Les gens qui veulent savoir peuvent savoir."

La propagande face à la réalité des combats

Alors que la guerre s'enlise, des témoignages affirment que certains militaires russes refusent de retourner combattre en Ukraine. Cécile Vessier rappelle que "toute une partie des soldats de l'armée russe sont soit des Caucasiens, qui viennent par exemple de Tchétchénie directement, ou des territoires à côté, soit des Asiatiques, notamment de Bouriatie. Il y en a aussi de Yakoutie apparemment. Donc pour la Bouriatie ce sont des territoires pauvres, ou il n'y a pas de boulot, où le salaire est encore plus bas qu'à Moscou ou Saint-Pétersbourg. Et ils sont allés chercher les jeunes là bas."

Quelle rhétorique la Russie utilise-t-elle ?

Vera Ageeva analyse le discours des médias officiels russes : "Tout d'abord, ils montrent constamment les frappes ukrainiennes sur le Donetsk et le Lougansk. Comme si c'était les Ukrainiens qui attaquaient les civils. [...]  Et tout de suite après ces reportages, ils montrent la réaction de l'Occident. Et montrent que l'Occident impose les sanctions contre la Russie. Et tout ça, ça crée une image d'injustice et de l'Occident qui est aveuglé." Pour la chercheuse, la télévision joue un rôle central "40% regardent la télé tout le temps, notamment la génération après 55 ans."
La propagande russe se fait aussi à travers les écoles, comme l'explique Vera Ageeva : "les écoles participent beaucoup dans la propagande. Les enfants doivent par exemple écrire des lettres aux soldats. C'est obligatoire. On voit qu'ils essaient de faire un parallèle avec la Grande Guerre patriotique. Parce que pour la société russe, la Grande Guerre patriotique de 1940 à 1945, c'est une guerre qui a réuni la société après les répressions de Staline."

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