Paysans pas contents ! Le temps des jacqueries : épisode • 1/4 du podcast Histoires de révolutions

Scène de la révolte des Cabochiens. Miniature du manuscrit "Les Vigiles de Charles VII" de Martial d'Auvergne, vers 1484. - Source :  gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Scène de la révolte des Cabochiens. Miniature du manuscrit "Les Vigiles de Charles VII" de Martial d'Auvergne, vers 1484. - Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Scène de la révolte des Cabochiens. Miniature du manuscrit "Les Vigiles de Charles VII" de Martial d'Auvergne, vers 1484. - Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
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Citadines ou rurales, les révoltes jalonnent le royaume de France de 1350 à 1420. De la résistance silencieuse à l’insurrection sanglante, quelle grammaire de la contestation déploie les insurgés ? Comment les nobles et le pouvoir y répondent-ils ? Pourquoi n’est-il pas question de révolution ?

Avec
  • Claude Gauvard Historienne, professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste d'histoire politique, sociale et judiciaire du Moyen Âge
  • Vincent Corriol Historien, maître de conférences en histoire médiévale à Le Mans Université

Le 26 septembre 1870, depuis Nohant, George Sand écrit à Gustave Flaubert : "Nous avons ici des 40 et 45 degrés de chaleur à l’ombre, on incendie les forêts : autre stupidité barbare. Les loups viennent se promener dans notre cour où nous les chassons la nuit." Elle signe : "Ton troubadour, G. Sand". Quelques jours plus tard, Flaubert écrit à sa nièce Caroline : "J’ai reçu une lettre lamentable de Mme Sand. Il y a une telle misère dans son pays, qu’elle redoute une jacquerie." La jacquerie nous conduit au Moyen Âge, mais révolte, soulèvement, insurrection, guerre des gueux, émotion populaire, colère paysanne… Et pourquoi pas révolution ?

Comment interpréter les révoltes médiévales ?

L'historienne Claude Gauvard souligne qu'une révolution, "ça n'existe pas réellement au Moyen Âge, en ce sens que pour qu'il y ait révolution, il faut un projet de changement complet de société ou de politique – les deux éventuellement. On envisage quand même des changements au Moyen Âge. Est-ce que ça va jusqu'à l'idée d'une révolution ? Voilà toute la question que posent les historiens".

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À partir des années 1320, après deux siècles florissants, le royaume de France est secoué par des crises économiques et politiques qu'exacerbent la guerre de Cent ans, les épidémies de peste noire et l'apparition d'une fiscalité directe de l'État. Alors qu'un cycle de révoltes sévit en Europe, la France n'est pas épargnée. "En général, ce qui met le feu aux poudres, c'est le trop-plein, ce n'est pas la remise en cause du système lui-même", constate l'historien Vincent Corriol. "Je travaille beaucoup sur les paysans : les paysans révoltés ne veulent pas mettre à bas la seigneurie, ce qu'ils veulent, c'est qu'on les entende, qu'on les considère et qu'on négocie. Il y a une phase de négociation qui nous échappe parce qu'elle est tacite dans les sources, mais qui est fondamentale".

Paris est secoué par l'insurrection parisienne menée par Étienne Marcel en 1358 tandis que la grande Jacquerie se répand depuis le bassin parisien jusqu'à la Normandie à l'ouest et l'Auxerrois à l'est. "S'il y avait un exemple de révolution entre guillemets, c'est quand même l'exemple de 1356-1358. Je pense que là, on a un programme, qui est de gouverner avec les états. C'est très intéressant du point de vue politique, parce que c'est le moment où la royauté française aurait pu devenir – parlementaire le mot est trop fort – contrôlée", analyse Claude Gauvard.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

En 1382, le peuple se soulève de nouveau contre la levée de l'impôt. C'est la révolte de la Harelle à Rouen, celle des Maillotins à Paris ou encore des Tuchins en Languedoc. Autant de soulèvements qui s'achèvent par une répression spectaculaire où l'autorité nobiliaire et royale se réaffirme. C'est ensuite l'occasion pour le roi de montrer sa magnanimité par la dispense de grâces et de pardons. À l'issue de la révolte de la Harelle à Rouen, Claude Gauvard rapporte que "Charles VI a décidé d'imposer une amende très lourde sur la ville, mais surtout, de prendre douze insurgés : six ont été graciés, six ont été décapités (...). On a là un exercice du pouvoir justicier par excellence qui allie à la fois la miséricorde et la rigueur de justice".

Les formes de la contestation médiévale

Il existe toutefois d'autres actes de contestation que l'affrontement violent. Pour contester la domination de leur seigneur, des paysans ont su déployer toute une panoplie de résistances à bas bruit : politique de la chaise vide, mauvaise volonté, fraude, désobéissance… Des luttes silencieuses qui leur ont permis de faire bouger les lignes et de limiter la tentation seigneuriale de toute puissance.

L'échec des révoltes est à nuancer par le souvenir qu'elles laissent. "Les révoltés ont le souvenir qu'ils ont fait trembler le pouvoir et le pouvoir a le souvenir que ça ne s'est pas toujours bien passé", remarque Vincent Corriol.

Concordance des temps
59 min

Pour en parler

Claude Gauvard est professeure émérite d’histoire médiévale à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste d'histoire politique, sociale et judiciaire du Moyen Âge.
Elle a notamment publié :

Vincent Corriol est maître de conférences en histoire médiévale à Le Mans Université.
Il a publié Les Serfs de Saint-Claude : étude sur la condition servile au Moyen Âge (Presses universitaires de Rennes, 2010).

Références sonores

  • Archive de l'émission Aujourd'hui madame intitulée Ainsi vivaient les paysans autrefois, Antenne 2, 2 septembre 1976
  • Chanson La Fille au cresson par Malicorne, 2001
  • Extrait du film télévisé Un bourgeois de Paris d'Alain Boudet, ORTF, 1969
  • Archive sur le village Saint-Leu d'Esserent dans l'émission Rond point, ORTF, 27 septembre 1969
  • Extrait de la série télévisée Thierry la Fronde, épisode Hors la loi, RTF, 3 novembre 1963
  • Archive sur le carnaval à Rouen fêté par les étudiants des Beaux-Arts, Normandie actualités, 4 février 1978

Générique de l'émission : Origami de Rone

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