Economie, énergie, diplomatie : l’incertaine efficacité des sanctions contre la Russie

Un homme passe devant une boutique de vêtements fermée dans un centre commercial à Moscou le 11 avril 2022. ©AFP - KIRILL KUDRYAVTSEV
Un homme passe devant une boutique de vêtements fermée dans un centre commercial à Moscou le 11 avril 2022. ©AFP - KIRILL KUDRYAVTSEV
Un homme passe devant une boutique de vêtements fermée dans un centre commercial à Moscou le 11 avril 2022. ©AFP - KIRILL KUDRYAVTSEV
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La France, et l’Europe avec elle, "paye le prix'', selon Emmanuel Macron, de la guerre en Ukraine, affrontant donc une inflation galopante et la menace d’une crise énergétique.

Avec
  • Jean-Maurice Ripert Diplomate, ancien ambassadeur de France en Chine (2017-2019) et en Russie (2013-2017).
  • Sylvie Matelly Economiste et directrice de l’Institut Jacques Delors

Les sanctions adoptées par le camp occidental contre la Russie produisent-elles les effets escomptés ? C'est pour répondre à cette question que Guillaume Erner reçoit Jean-Maurice Ripert, diplomate, ancien ambassadeur de France en Russie (2013-2017) et en Chine (2017-2019), président de l'ONG "Plan international France" qui se consacre au droit et à la protection des enfants, et Sylvie Matelly , directrice adjointe de l’institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), économiste, responsable pédagogique du diplôme "Géoéconomie, gestion des risques et responsabilité de l’entreprise".

Conséquences visibles des sanctions

Comme le rappelle Jean-Maurice Ripert, les premières sanctions émises datent d'il y a huit ans et touchent aujourd'hui l'ensemble du champ politique, économique, financier, énergétique mais aussi culturel et sportif : "ce sont des sanctions qui couvrent l'ensemble des secteurs et qui se sont renforcées au fil des années" explique l'ancien ambassadeur.

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Les conséquences pour l'Europe

Concernant les conséquences économiques en particulier sur les prix de l'énergie et des denrées alimentaires, les sanctions ont amplifié un phénomène d'inflation, initié par la reprise post-Covid et par le contexte de la guerre en Ukraine, souligne Sylvie Matelly. Pour Jean-Maurice Ripert, ce sont surtout les décisions russes de soumettre l'économie ukrainienne qui expliquent le contexte actuel. Il s'explique : "c'est volontairement que la Russie a (...) affamé un certain nombre de pays au risque d'une crise alimentaire, au Moyen-Orient, au Maghreb et en Afrique subsaharienne, dramatique". Sur la question de la crise énergétique en particulier, la directrice de l'IRIS explique que la situation découle surtout de "l'interaction entre les sanctions et les réactions de Vladimir Poutine, qui ne peuvent pas être qualifiées de contre sanctions, mais qui amplifient les phénomènes". Néanmoins, une récession et un fort ralentissement de l'économie pourraient être à prévoir dans les mois à venir continue-t-elle.

L'impact des sanctions sur l'économie et les populations russes

Jean-Maurice Ripert rappelle qu'"avant la crise, l'Union européenne était le premier partenaire économique et commercial de la Russie, comme elle l'est des Etats-Unis et de la Chine". Le départ des entreprises occidentales, qui occupaient des secteurs importants de l'économie, n'est pas à négliger, mais souligne le diplomate, il ne faut pas oublier que c'est surtout la fuite d'intellectuels, d'ingénieurs, de cadres et de médecins russes qui pose aujourd'hui problème à l'économie russe. Pour Sylvie Matelly, le départ des entreprises occidentales est "dramatique" pour l'économie russe.

Le diplomate insiste sur le fait que la Russie de Poutine tenant d'"une gigantesque lessiveuse", d'"une machine à prébende où certains sont riches à milliards", c'est surtout "la montée d'une certaine grogne populaire qui ne veut pas de la guerre", "qui est extrêmement mécontente de la situation économique et sociale" actuelle qui peut être à craindre pour Vladimir Poutine et son cercle proche.

La Russie tiendra-t-elle sur la longueur ?

La démarche de l'Union européenne est, depuis le mois de mars, de priver Vladimir Poutine de toutes les recettes et ressources pour financer la guerre rappelle Sylvie Matelly. Jean-Maurice Ripert, quant à lui, insiste sur le fait que les effets des sanctions seront visibles sur le long terme, mais déjà, la population souffre et la situation est désastreuse. Pour preuve, l'appel des élus russes à la destitution du président de la Fédération de Russie : "ils sentent que dans la population russe, il y a un ras-le-bol de cette guerre et de son impact," explique le diplomate.

La Russie tient pour l'instant, car Vladimir Poutine s'est préparé à ces sanctions, ce que l'Union européenne a sous-estimé,  insiste la directrice adjointe de l'IRIS. Néanmoins, la situation économique actuelle est très grave avec environ 19% d'inflation continue-t-elle. Jean-Maurice Ripert renchérit en expliquant que les sanctions de l'UE ont été pensées pour ne pas toucher directement la population russe, "c'est Vladimir Poutine qui fait peser le poids des sanctions sur sa propre population."

Alors que l'économie russe cherche des débouchés alternatifs pour écouler ses ressources, certains sont prêts à prendre le risque du politiquement incorrect comme la Chine qui achète du pétrole russe souligne Sylvie Matelly, mais "l'essentiel du gaz reste invendu". Pour l'économiste, il faut rester patient et attendre "le jour où Vladimir Poutine va céder sur quelque terrain que ce soit. Il est bien évident que c'est sa place qui est en jeu, et ça, il en a bien conscience. Les seules conséquences que peuvent avoir ces sanctions (...), c'est de pousser la population à se soulever et à s'opposer à Vladimir Poutine." Même si le contrôle du pays rend cela peu probable souligne-t-elle, "il est très difficile de prendre une initiative". La Chine pourrait également être un levier pour faire céder la Russie car, comme le rappelle la directrice de l'IRIS, l'économie chinoise est fortement impactée par la guerre. Jean-Maurice Ripert renchérit en soulignant que "la Chine a plus besoin d'une mondialisation que d'une Russie populaire".

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