Révolution indonésienne, fini la java pour les Bataves : épisode • 4/4 du podcast Histoires de révolutions

Le président Achmed Soekarno en visite durant la révolution nationale indonésienne - ©Bert Hardy
Le président Achmed Soekarno en visite durant la révolution nationale indonésienne - ©Bert Hardy
Le président Achmed Soekarno en visite durant la révolution nationale indonésienne - ©Bert Hardy
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Le 17 août 1945, l’Indonésie proclame son indépendance, inaugurant quatre années de troubles politiques et militaires que les Indonésiens désignent sous le nom de Revolusi : une révolution nationale, mais aussi une guerre d'indépendance, qui ouvre la voie à d'autres révolutions de décolonisation.

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C’est la révolution en Indonésie ! Dans le journal communiste L’Humanité, une brève, le 29 septembre 1945 : "Vers l’indépendance de l’Indonésie. Batavia, 28 septembre. Le mouvement d’indépendance déclenché il y a quelques jours à Java tend à gagner toute l’Indonésie. Il a l’appui des masses ouvrières d’Australie qui ont organisé de nombreuses manifestations dans les grandes villes de l’île." Java, les Pays-Bas, l’Australie, et plus loin encore : la révolution indonésienne, c’est une histoire mondiale !

Qu’est-ce qu’une révolution en contexte colonial ? Se révolter pour renverser l’ordre établi est une chose, se révolter contre une puissance coloniale en est une autre… La révolution indonésienne répond à un double enjeu, puisqu’elle procède à la fois d’un mouvement nationaliste et républicain, et d’une volonté d’indépendance face au pouvoir colonial.

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Quand l’Indonésie déclare son indépendance, la Proklamasi, en 1945, le pays sort de trois ans d’occupation japonaise, entre 1942 et 1945, et de plusieurs siècles d’influence et de colonisation néerlandaise. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Vereenigde Oost-Indische Compagnie, VOC), fondée en 1602, est en effet le premier instrument de l’exploitation coloniale du pays, à travers le commerce de thé, d’épices, de tissus, et la traite négrière. Après la dissolution de la VOC, à partir de 1800, l’Indonésie reste sous le contrôle des Pays-Bas, tandis que l’exploitation des ressources indonésiennes continue.

Les prémisses d’un nationalisme indonésien se font néanmoins jour, et, peu à peu, la résistance de la population locale, excédée par les famines répétées et les violences du pouvoir colonial, s’organise et se structure, notamment à travers la création d’associations politiques. La fondation du Boedi Oetomo, en 1908, est ainsi aujourd’hui célébrée comme "jour du réveil national". Un conseil du peuple (Volksraad) est créé en 1916. Organe politique symbolique, ce conseil du peuple est néanmoins un jalon dans l’histoire des revendications des nationalistes, malgré le peu de pouvoir qui lui est dévolu. En 1927, un jeune ingénieur, Soekarno, fonde le Parti national indonésien (PNI) et entame une lutte pour mettre en place un gouvernement démocratique, afin d’obtenir plus de droits pour le peuple indonésien. Le "serment de la jeunesse" de 1928 établit le triple programme des nationalistes indonésiens : une nation indonésienne, une langue, l’indonésien, et une patrie, l’Indonésie. Il s’agit donc de s’émanciper du pouvoir colonial et de revenir à l’identité nationale populaire de l’Indonésie.

Les prémisses d’un sentiment nationaliste et d’une volonté d’autonomie politique se heurtent cependant au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, qui bouleverse les équilibres des forces diplomatiques en présence. À partir de 1942, l’Indonésie est occupée par les forces japonaises. Accueillis en libérateurs, les Japonais jouent un rôle clé dans le mouvement nationaliste indonésien, puisqu’ils encouragent la population à repousser le colon néerlandais et forment les jeunes Indonésiens au maniement des armes. Les Japonais démantèlent également l’appareil d’État colonial. L’occupation japonaise reste néanmoins un moment de grande violence pour le pays, car les Japonais se rendent coupables d’acte de cruauté et de prédations nombreuses. David Van Reybrouck, lors de son travail de recherche sur l'Indonésie, a recueilli de nombreux témoignages oraux qu'il perçoit comme "les archives les plus démocratiques, puisque ce sont ces témoignages qui permettent de donner un regard d'en bas, le regard de ceux qui ne rentrent que rarement dans les archives". Au fil de ses recherches et de ses rencontres, l'historien fait également le constat d'une "mémoire inoxydable, celle des traumatismes. On rencontre des gens qui vous racontent en détail des épisodes durant desquels ils se sont mal comportés, munis d'une mitrailleuse par exemple. Les traumatismes sont présents, avec une fraîcheur bouleversante."

À réécouter : Indonésie
Les Enjeux internationaux

En 1945, au moment de la capitulation japonaise, et alors que les Pays-Bas, dont le gouvernement est en exil à Londres depuis 1940, ne sont plus présents en Indonésie, le pays s’enflamme et proclame son indépendance. À Batavia, actuelle Jakarta, Soekarno devient président de la république d’Indonésie, avec Mohammad Hatta pour vice-président.

Les Pays-Bas ne l'entendent pas de cette oreille et font tout pour remettre la main sur leur ancienne colonie, tandis que les forces britanniques, envoyées par les Alliés pour stabiliser la situation, livrent bataille aux forces républicaines insurgées. L’armée indonésienne combat les Japonais, les Britanniques et les Néerlandais pendant les quatre années qui suivent la Proklamasi. Pas à pas, les négociations entre les indépendantistes indonésiens et le gouvernement néerlandais sont engagées, reculent, progressent, sont bafouées, avant qu’un consensus ne voie le jour.

La lutte se fait également sur le front diplomatique. L’opinion internationale, et notamment le Conseil de Sécurité de l’ONU et les États-Unis, condamne rapidement l’acharnement des Pays-Bas à reconquérir son ancienne colonie. En 1949, le Conseil de Sécurité de l’ONU vote ainsi une résolution de soutien aux forces indonésiennes, tandis que les États-Unis cessent de financer l’effort de guerre néerlandais. Le 27 décembre 1949, enfin, la reine Juliana des Pays-Bas, les représentants des gouvernements hollandais et indonésiens signent solennellement l’**acte d’indépendance de l’Indonésie**, qui marque la reconnaissance officielle par les Pays-Bas de l’indépendance de son ancienne colonie. L'historien David Van Reybrouck souligne l'existence d'une fierté nationaliste, qui subsiste encore aujourd'hui : "En Indonésie, il y a un discours nationaliste très présent qui est enseigné dans les écoles et se retrouve pendant les commémorations, durant lesquelles les vétérans sont applaudis".

La révolution indonésienne inaugure alors une période de modernité et devient un modèle pour les indépendances futures de pays colonisés, comme en atteste la conférence de Bandung. En 1955, une trentaine de pays africaines et asiatiques se réunit à Bandung, pour la première fois en l’absence de pays occidentaux. La conférence fait date, puisqu’elle consacre la naissance du tiers-monde, d’un discours anticolonisation et anti-impérialisme résolu, et le principe du non-alignement dans le contexte de la guerre froide. La révolution indonésienne, de révolution nationale, devient alors une révolution mondiale, à laquelle se réfèrent les mouvements indépendantistes du monde entier.

Pour en parler

David Van Reybrouck est historien, archéologue et écrivain.

Bibliographie

Références sonores

  • Archive de Romain Guillain dans la Tribune de Paris, 6 janvier 1949
  • Extrait du film Des soldats et des ombres de Jim Taihuttu, 2020
  • Lecture par Jeanne Coppey d'un extrait de Revolusi de David Van Reybrouk, 2022
  • Archive sur la souveraineté indonésienne dans Les Actualités françaises, 1950
  • Archive du discours d'Alioune Diop, 19 septembre 1956
  • Archive de France Roche et Jean-Jacques Gautier, Des goûts et des couleurs, 15 janvier 1957

Générique de l'émission : Origami de Rone

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