Quels enjeux pour le Brésil après les résultats du premier tour des élections présidentielles ?

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Qu'est-ce qui attend les Brésiliens au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle ?

Avec
  • Lamia Oualalou Ancienne journaliste basée à Rio, elle collabore régulièrement à Mediapart et au Figaro.

156 millions de Brésiliens étaient appelés à voter dimanche 2 octobre 2022 pour départager la figure emblématique de la gauche, icône du Parti des Travailleurs qui briguait un troisième mandat présidentiel, LULA, et le président sortant d’extrême droite, candidat du Parti Libéral, Bolsonaro. Au lendemain de ce premier tour, qu’est-ce qui attend désormais les Brésiliens ?

Guillaume Erner reçoit Lamia Oualalou, journaliste indépendante, a été 10 ans correspondant au Brésil pour plusieurs médias (Mediapart, Le Figaro, Le Monde diplomatique Marianne…) spécialiste de l’Amérique latine, auteure de Jésus t'aime ! : la déferlante évangélique, ed. du Cerf.

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Les résultats du premier tour beaucoup plus serrés que prévu

Au Brésil, le candidat de la gauche, Lula, devance le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, au lendemain du premier tour des élections générales, au cours desquelles le président, mais aussi des gouverneurs, des sénateurs et des députés sont élus grâce à un suffrage à deux tours.

Avec 48,43 % des voix, le représentant du parti des travailleurs, ancien chef de l’Etat de 2003 à 2010 enregistre 5 points d’avance sur le président d’extrême droite sortant, Jair Bolsonaro.

"C’est un écart de seulement 6 millions de votes, donc beaucoup moins que les prévisions" d’après Lamia Oualalou, et "le camp de la démocratie se réveille un peu KO ce matin avec une sorte de gueule de bois ; il y a eu sans doute trop d’optimisme, sans doute à partir du moment où il y a eu une grande alliance d’artistes, de banquiers, d’establishment d’une certaine façon, qui disait c’est Lula qui va gagner" l’élection présidentielle.

Elle ajoute que l’"on n’a pas vu, peut-être, une partie du Brésil, silencieux, profond, qui n’a pas déclaré son vote clairement aux instituts de sondage, donc il y a une grosse critique à l’encontre des instituts de sondage ce matin."

Le rôle très important des églises évangéliques et des réseaux sociaux dans la campagne

Bien que la campagne ne soit pas censée s’immiscer au sein des églises, selon la loi brésilienne, elle le fait quand même, selon Lamia Oualalou.

"Les églises évangéliques sont le porte-parole de Bolsonaro" d’après l’ex-correspondante au Brésil.

Les statistiques au Brésil font un lien entre la religion et le vote politique, si bien que l’on sait qu’"en 2018, 7 évangéliques sur 10 avaient voté pour Bolsonaro" alors que "pour ces élections, les sondages donnaient environ 1 évangélique sur 2 (en faveur du président sortant, NDLR)." L’écart entre les deux élections est important, "on est dans un scénario d’incertitude" constate Lamia Oualalou, qui ajoute que l’"on va voir les chiffres exacts dans les prochaines heures."

Côté réseaux sociaux, ce sont les fake news qui ont un impact dévastateur sur l’opinion politique des Brésiliens, et notamment des classes moyennes.

"Le Brésil est un pays extrêmement connecté et la campagne de Bolsonaro sait utiliser cela de façon extraordinaire avec des fake news en permanence, donc par exemple on dit que Lula va fermer les églises s’il est élu, et une partie des gens croit cela."

"Il faut arrêter de sous-estimer le 'bolsonarisme'"

Longtemps considéré comme un candidat de second rang, pas assez pris au sérieux, Bolsonaro représente un courant politique "très ancré au Brésil" selon Lamia Oualalou. L’"une des leçons de ces élections, c’est qu’il faut arrêter de sous-estimer le 'bolsonarisme' ; il est beaucoup plus puissant que ce que l’on pense. Ça n’est pas du folklore, c’est quelque chose de très conservateur et de très ancré dans la politique brésilienne (…). Même si Lula est élu dans quatre semaines, ça va être une présidence en état de siège (…) parce que le parti de Bolsonaro est le premier de très loin au congrès", c’est-à-dire à la fois au Sénat brésilien et à la Chambre des représentants.

Plus qu’une élection, "une bataille pour la démocratie"

Dans un Brésil où "7 brésiliens sur 10 ont peur de déclarer leur vote" aux instituts de sondage, selon Lamia Oualalou, "c’est sûr que les gens ont menti sur leur (intention de) vote parce qu’ils savent que ce n’est pas 'bien' de voter pour Bolsonaro, parce que 700 000 personnes sont mortes (en raison de l’épidémie de Covid-19 sous sa présidence, NDLR), parce que l’économie brésilienne est en morceaux, que le pays n’existe plus sur la scène internationale."

Mais, "en même temps, voter pour Lula, c’est trop dur pour beaucoup" en raison de l’état de corruption dont sont accusés le parti de Lula, le parti des travailleurs, et les membres de sa famille proche, alors que la justice n’a jamais prouvé de telles accusations, qui ont toutefois un très fort écho au sein des classes moyennes selon Lamia Oualalou.

Pour l’ex-correspondante au Brésil, "ça n’est plus (que) Bolsonaro vs. Lula, on est vraiment dans la bataille pour la démocratie. Si Bolsonaro a le contrôle du Sénat et de la Chambre, ce qui est le cas, ça lui permettrait s’il est élu de remettre en cause les équilibres au sein de la Cour Suprême, qui est le seul espace de résistance au pouvoir bolsonariste. On pourrait voir tout s’effondrer. Ce serait l’apocalypse, en fait", conclut la journaliste.

Le second tour de l'élection présidentielle au Brésil aura lieu le dimanche 30 octobre 2022.

Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.

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