Blocage des prix : un slogan ou un programme ?

Un hypermarché à Villeneuve-la-Garenne, le 7 décembre 2016 ©AFP - THOMAS SAMSON / AFP
Un hypermarché à Villeneuve-la-Garenne, le 7 décembre 2016 ©AFP - THOMAS SAMSON / AFP
Un hypermarché à Villeneuve-la-Garenne, le 7 décembre 2016 ©AFP - THOMAS SAMSON / AFP
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Jean-Luc Mélenchon et ses alliés de la Nupes préparent leur "marche contre la vie chère", dimanche prochain, à Paris. La France Insoumise réclame, encore une fois, le blocage des prix des produits de première nécessité. Mais le gouvernement peut-il contrôler l'inflation ?

Est-ce que la politique peut répondre simplement à un problème compliqué ? À l'initiative de Jean-Luc Mélenchon, la gauche appelle à manifester, dimanche prochain, à Paris, "contre la vie chère". La Nupes réclame aussi le blocage des prix des produits de première nécessité. L’inflation est devenue la première préoccupation des Français : en un an, les prix de l’alimentation ont augmenté de 10 % environ. Les salaires n’ont pas suivi. Pour celles et ceux qui gagnent peu, cette poussée des prix est un problème majeur, quotidien, concret. L’inflation est une privation.

Pendant longtemps, le gouvernement et le gouvernement de la Banque de France ont sous-estimé le phénomène. Ils n’ont pas vu ou pas cru que l’inflation allait s’installer. Pourtant, elle s’est aggravée, et avec elle un sentiment de décalage brutal, comme toujours quand le discours officiel s’éloigne de la réalité.

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La gauche s’engouffre dans cette brèche. La France Insoumise pointe du doigt Emmanuel Macron. Jean-Luc Mélenchon compare le chef de l’Etat au roi Louis XVI, insensible à la souffrance du peuple qui a faim. Pour La France Insoumise, la manifestation de dimanche prochain doit s’inspirer de la Révolution, et réclamer, donc, une mesure précise : le blocage immédiat des prix des produits de première nécessité. Par exemple, quelques fruits et légumes, des pâtes ou de l’huile.

Un bouclier étendu

En réalité, le blocage des prix a bel et bien commencé. Depuis le début de l’année, les prix du gaz, de l’électricité, du carburant sont encadrés. Ce bouclier tarifaire va continuer. L’an prochain, il devrait coûter 45 milliards d’euros. L’examen du budget commence aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Le prix du logement est également sous surveillance. Pendant un an, la hausse des loyers est plafonnée à 3,5 % - c'est déjà une forte hausse.

La gauche propose d’aller plus loin dans le blocage des prix, en étant plus direct encore, en s’attaquant au prix de l’alimentation et des produits d’hygiène. Symboliquement, cette mesure a un sens, et techniquement, elle est possible. Le Code du commerce permet le blocage, de manière temporaire et ciblée. Le gouvernement l’a fait d’ailleurs au début de la pandémie, en bloquant le prix des masques et du gel hydroalcoolique. Il est donc possible d’aller plus loin, mais à une condition : il faut aller jusqu’au bout du raisonnement.

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Un effet limité et même contreproductif

Si la Nupes continue à défendre cette mesure, elle doit prévenir les électeurs : le blocage de quelques prix aura un effet limité, et il peut même être contreproductif. Au cours de l’histoire, c’est arrivé plusieurs fois.

Jean-Luc Mélenchon aime citer les grands épisodes de la Révolution, mais il a tendance à choisir ceux qui l’arrangent. A-t-il déjà parlé du blocage des prix de 1793 ? À l’époque, l’inflation galope. Pour le peuple, elle est dramatique. En septembre 1793, la Convention adopte deux lois sur ce qu’elle appelle alors le "maximum général". Les prix de la viande, du poisson, de l’huile, du sel, du tabac sont bloqués. Les contrôles se multiplient, la répression aussi. Pour quel résultat ? Des paysans et des fabricants décident de garder leurs marchandises pour ne pas vendre à perte ; l’économie parallèle et le marché noir se développent ; la pénurie s’accentue. Quelques mois plus tard, le "maximum général" est abandonné. Est-ce le projet de la gauche ?

La vérité sur les prix

Nous ne sommes pas en 1793 Mais une chose n’a pas changé : la réalité économique est complexe, comme les causes de l’inflation. Hier, dans le Journal du dimanche, plusieurs personnalités appelaient à participer à la marche du 16 octobre. Parmi elles, Annie Ernaux, qui vient d’obtenir le prix Nobel de littérature. Les signataires écrivent que "tout n’est qu’une question de volonté politique".

C’est faux. Il ne suffit pas de décréter que les salaires doivent augmenter ou que les prix doivent baisser pour que cela fonctionne. Qui doit payer le blocage des prix ? L’État ? Il peut le faire, jusqu’à un certain point, mais en creusant la dette publique. Les entreprises ? Oui, certaines réalisent des marges exceptionnelles, et elles peuvent largement les réduire. Mais d’autres entreprises n’en ont pas les moyens car elles sont, elles aussi, étranglées par l’inflation.

Le blocage des prix est un vrai sujet politique. Il ne doit pas être un tabou. L’État a un rôle à jouer. Les électeurs, quelles que soient leurs opinions, attendent que les dirigeants agissent. Avec le blocage des prix, la gauche, souvent divisée ces dernières semaines, a trouvé un cheval de bataille. Mais si elle veut incarner l’alternance, si elle veut un jour diriger le pays, elle doit dire la vérité, et toute la vérité.

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