Prix du carburant, superprofits, pétrocratie… Les excès de pouvoir des rois du pétrole

Pénurie dans une station Total à Marseille, début octobre 2022 ©AFP - Nicolas TUCAT
Pénurie dans une station Total à Marseille, début octobre 2022 ©AFP - Nicolas TUCAT
Pénurie dans une station Total à Marseille, début octobre 2022 ©AFP - Nicolas TUCAT
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Certaines raffineries sont en grève, une pénurie de carburant commence à se ressentir dans plusieurs territoires français interrogeant les stocks stratégiques de pétrole, les pays producteurs réduisent leur offre. Examen de la démesure pétrolière.

Avec
  • Patrice Geoffron Professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine, directeur de l’équipe Energie Climat.
  • Francis Perrin Chercheur, spécialiste des problématiques énergétiques

Que faire face à ces rois du pétrole ? Guillaume Erner reçoit Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) et professeur d'économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, et Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS et chercheur associé au Policy Center for the New South, à Rabat (Maroc).

Les raisons d’une pénurie qui s’étend en France

Pour Patrice Geoffron "il n’y a pas de doute sur la nature du problème : dès lors qu’il y a des grèves, le système s’assèche" au niveau national, même si l’on a pu bénéficier "d’un petit rebond, en termes d’approvisionnement (…) en recourant aux stocks stratégiques", prévus au niveau européen, dans la région des Hauts-de-France. En effet, "il y a l’obligation d’avoir l’équivalent en stocks (…) de 90 jours de consommation" nationale, en France, tout comme chez ses voisins, souligne le professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine-PSL.

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Le directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières (CGEMP) explique que, "dès lors que ces stocks sont stratégiques, il faut les utiliser avec parcimonie, donc il y a une pression qui est mise par le gouvernement sur les protagonistes" du secteur de l’énergie.

La situation peut-elle se débloquer rapidement ?

D’après Patrice Geoffron, "ce qui est surprenant, ce sont les modalités de négociation de cette grève plutôt que la légitimité" de ce rapport de force. Les salariés des raffineries demandent plusieurs choses, selon lui. D’abord, "le rattrapage de l’inflation", qui est une problématique présente dans beaucoup de domaines d’activité. Elle est notamment débattue via l’enjeu du partage des profits qu’entraînent les prix élevés de l’énergie dans un contexte de retour de la guerre en Europe rappelle le directeur du CGEMP.

Ensuite, les salariés des grands groupes énergétiques demandent à la fois de nouvelles embauches et, c’est la dernière revendication majeure de leur part, des investissements dans leur secteur d’industrie explique le professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine-PSL. En termes de délai pour les consommateurs finaux, "il faudra encore quelques jours pour que le système revienne à la normale", selon Patrice Geoffron.

Prix élevés en raison du contexte de guerre et de la dépendance à l’or noir russe

Pour Francis Perrin, "la principale cause de cette cuisine pétrolière des superprofits (…), c’est bien sur les prix élevés du pétrole et du gaz naturel, eux-mêmes liés à la guerre en Ukraine (…) et cette guerre a un impact sur les prix", dans la mesure où la Russie est le 3e producteur de pétrole au monde.

Patrice Geoffron souligne que "nous avons vu monter, pour les importations de gazole, une dépendance que l’on va toucher du doigt dans quelques semaines sur les importations en provenance de la Russie, et également du Moyen-Orient, ce qui est problématique. Du côté de Total Energies, un certain nombre de précautions ont été prises de manière à pouvoir réorienter les approvisionnements du Moyen Orient" vers des secteurs dans lesquels, normalement, le pétrole d’origine russe est utilisé. Néanmoins, "dans les faits", ajoute ce dernier, "c’est un choc".

Comment adapter nos politiques publiques dans ce contexte de transition énergétique ?

Le directeur de l’équipe énergie climat à l’Université Paris-Dauphine parle du contexte actuel comme d'"une session de rattrapage" étant donné que "70 % du modèle énergétique européen est encore carboné en énergies primaires. Même si l’Europe est l’espace le plus avancé en termes de décarbonation, on est encore très loin d’avoir abouti. Il faut se rendre compte du coût de nos dépendances pour la collectivité." Alors que Total Energies veut devenir l’un des cinq géants mondiaux dans le domaine des énergies renouvelables et de l’électricité, Francis Perrin précise que "les compagnies pétrolières privées occidentales, plus particulièrement européennes, dont Total Energies, financent une diversification de leur portefeuille énergétique pour aller de plus en plus vers les énergies renouvelables et l’électricité."

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