Tahireh, poétesse et première féministe iranienne

Portrait de Tahireh avec le drapeau iranien en fond.
Portrait de Tahireh avec le drapeau iranien en fond.
Tahireh, poétesse et première féministe irannienne
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Tahireh, poétesse et première féministe iranienne

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Ce n'est pas la première fois que les femmes iraniennes se révoltent contre le port du voile. En 1848, la poétesse Tahireh a retiré son voile en pleine conférence religieuse pour réclamer plus d'égalité entre hommes et femmes. Elle sera condamnée à mort quelques années après.

La mort de Mahsa Amimi, arrêtée par la police des mœurs iranienne parce qu'elle ne portait pas son voile correctement, a déclenché une vague de manifestations en Iran. Depuis son décès en détention, un vent de colère anime la jeunesse iranienne et de nombreuses jeunes femmes retirent leur voile en public. Ce geste, hautement symbolique, est le même que celui effectué en 1848 par une poétesse et féministe iranienne, Tahireh. Yves Bomati, iranologue et co-auteur de Iran, une histoire de 4000 ans (Ed. Perrin, 2019) nous raconte la vie incroyable de cette pionnière du féminisme iranien.

Signes des temps
43 min

Éducation et émancipation

Si le geste pionnier de Tahireh a été possible, c'est qu'elle a eu un destin extraordinaire qui commence par un accès à l'éducation, alors qu'elle naît en 1817 en Perse, dans une famille musulmane très pieuse. "Ce qui est absolument étonnant, détaille Yves Bomati, c’est que Tahireh a eu l’autorisation, par son père, d’écouter les cours qu’il donnait dans les salles à côté. Évidemment, elle n’était pas mêlée aux hommes mais elle pouvait entendre tout ce qui se disait et en profiter."

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Portrait de Táhirih Qurrat al-'Ayn, dont le nom de naissance est Fatemeh Baraghani
Portrait de Táhirih Qurrat al-'Ayn, dont le nom de naissance est Fatemeh Baraghani
- inconnu

Brillante, elle s’intéresse à la littérature, la poésie, la religion, la politique… Mais elle est mariée à 13 ans à un cousin, rigoriste religieux. Elle arrive quand même à devenir poète et à entretenir des correspondances avec de grands penseurs, comme Sayyed Kazem Rashti, qui défend une vision plus sociale du chiisme, le courant de l'islam majoritaire en Perse. Tahireh va essayer de le rencontrer, sans succès d'après l'iranologue : "Elle va partir sur les chemins, en 1843, à 26 ans, laissant mari et enfants derrière elle, pour rencontrer Rashti en Irak, où il professe. Le temps d’arriver, il décède, mais chose extraordinaire, vu sa sapience, vu son intelligence et aussi sa grande beauté, on lui propose d’enseigner au même endroit où Rashti enseignait. On divise la pièce en deux avec un rideau - comme on sait faire d’ailleurs encore aujourd’hui en Iran - d’un côté les hommes, et de l’autre côté les femmes, elle se met du côté des femmes et elle enseigne. Si bien que hommes et femmes peuvent entendre cette profonde réforme du chiisme qu’elle propose."

Tahireh prend fait et cause pour le babisme

Dans la Perse des années 1840-1850 ,en plein bouillonnement politique et religieux, la jeune poétesse s’oppose aux mollahs corrompus et dénonce l’hypocrisie de la société. Tahireh devient une apôtre du babisme naissant. Ce mouvement religieux, issu de l’islam mais qui s’en éloignera, prône une nouvelle ère et réclame plus d'égalité sociale. "Elle prônera dans ses prêches l'égalité des hommes et des femmes, une réforme profonde de la société regardant le divorce, l’héritage, mais également progressivement, une critique directe de la charia", précise Yves Bomati.

L’aura de Tahireh grandit, grâce à ses prêches et à sa poésie engagée :

"Nul cheikh ne siégera plus 
sur le trône de l’hypocrisie !
Nulle mosquée ne fera plus
commerce de la piété ! (...)
La tyrannie sera terrassée par la main de l’égalité.
L’ignorance sera démolie par la force de la vérité.
La justice étendra son tapis en tout lieu
et l’amitié plantera ses arbres partout."

"L'aube véritable", Tahireh Qurrat al-'Ayn, traduction de Jalal Alavinia

Tahireh prêche l'égalité entre hommes et femmes, gravure d'Edouard Zier
Tahireh prêche l'égalité entre hommes et femmes, gravure d'Edouard Zier

Sa vie, ses idées dérangent. Elle est accusée du meurtre de son beau-père et placée en résidence surveillée à Téhéran. Jusqu’à ce que des disciples du babisme organisent sa libération. En 1848, plus combattante que jamais, elle pousse les disciples à organiser une conférence pour définir les principes du babisme et s’émanciper du chiisme. C’est lors de cette conférence qu’elle se dévoile, un geste inattendu pour l’époque.

"Dans un de ces grands discours dont elle avait le secret, avec sa verve et sa qualité poétique et littéraire, décrit Yves Bomati, elle va enlever son voile devant tous les hommes. Ça va faire scandale chez les babis, une partie sera offusquée mais l’autre trouvera que ce n’est pas plus mal, et le bab lui-même ne voudra pas condamner ce geste. À partir de là, la guerre est déclarée contre le pouvoir central et les babis commencent à être persécutés."

Une répression sanglante

100 000 adeptes du babisme sont assassinés en quelques années et la poétesse n’échappe pas à cette répression car comme le rappelle l'historien, "Tahireh, qui est une meneuse, qui est suivie par beaucoup de femmes et pas seulement des femmes du peuple, des femmes aussi de la classe dirigeante, étant jugée véritablement trop dangereuse, va être emprisonnée pendant quatre années." On raconte que le jeune Shah, le souverain perse, la demande en mariage pour casser le mouvement babiste.

Portrait de Nasser al-Din Shah Qajar (1831–1896), le shah qui aurait demandé la main de Tahireh. 1857, musée du Louvre
Portrait de Nasser al-Din Shah Qajar (1831–1896), le shah qui aurait demandé la main de Tahireh. 1857, musée du Louvre

"Tahireh bien sûr, qui ne désire pas se morfondre au fond d’un harem et surtout être dans l’obligation de se taire, lui enverra un poème où elle lui dira qu’elle renonce à ce "grand honneur". Cela dit, son sort ne sera guère enviable, puisqu’à la suite d’un attentat perpétré contre ce Shah fort jeune, en 1852, Tahireh qui n’a que 35 ans sera condamnée, elle aussi, à mourir et elle sera étouffée", nous raconte Yves Bomati.

La vie de Tahireh a été effacée des livres d’histoire, mais elle est perçue aujourd'hui comme la première féministe iranienne. Ce n’est qu’en 1935, que Reza Chah Pahlavi autorise les femmes à se dévoiler. Un droit aboli lors de la révolution islamique de 1979 qui impose le retour du voile… Jusqu'aux récentes manifestations féministes qui remettent en question cette obligation.