Terre : aux racines du capitalisme : épisode • 1/3 du podcast Une économie des éléments

Homme labourant un champ à l'aide de deux chevaux, Angleterre, 19/07/1952 ©Getty - Raymond Kleboe / Intermittent
Homme labourant un champ à l'aide de deux chevaux, Angleterre, 19/07/1952 ©Getty - Raymond Kleboe / Intermittent
Homme labourant un champ à l'aide de deux chevaux, Angleterre, 19/07/1952 ©Getty - Raymond Kleboe / Intermittent
Publicité

Comment la maîtrise de la “terre” (et de la Terre) a permis à l’économie capitaliste d’advenir ?

Avec
  • Alessandro Stanziani Historien, directeur d’études à l’EHESS, directeur de recherches au CNRS et membre du Centre de Recherches Historiques

L’élément terre, dans son acception économique, peut s’entendre de deux manières : la terre à exploiter, dont on peut tirer des ressources et du profit, et la Terre à préserver et à “sauver” d’un capitalisme prédateur qui l’épuise. L’idée de parler de capital Terre reprend deux notions incluses dans le terme Terre, à savoir comprendre la Terre à la fois comme notre planète et à la fois comme une ressource foncière. On ressent bien l’ambivalence dans l’expression capital Terre : la Terre est à la fois notre espace de vie, un espace commun et un bien précieux à préserver, mais elle est aussi une ressource dans laquelle puiser des richesses et dont on peut retirer des profits.

Comment la croissance se fonde-t-elle sur le travail de la terre ?

Selon Alessandro Stanziani, l'histoire économique de la terre comme capital commence au XIIe siècle. Il précise : "selon Fernand Braudel et Werner Sombart le capitalisme commence au XIIe siècle. Le capitalisme selon Braudel est identifié par le monopole, plutôt que la concurrence, et par la finance. Je complète cette définition avec la notion que les ressources sont uniquement à exploiter et non pas à préserver pour le futur, et surtout que le travail doit être soumis à des contraintes sévères au long de plusieurs siècles. De ce point de vue-là, je n'associe pas, comme Marx, le travail et le capitalisme au travail salarié et aux prolétaires. Au contraire, j'associe les formes multiples du capitalisme aux formes différentes du travail contraint. D'où la possibilité d'inclure les régimes qui commencent au XIIe siècle sous le nom de capitalisme".

Publicité
Le Cours de l'histoire
51 min

Par ailleurs, du XIIe au XIXe, la hausse de la production agricole correspond à une augmentation des surfaces cultivées. En effet, les déforestations n’ont cessé d’être présentes du néolithique au haut Moyen-Âge et elles s’accélèrent fortement entre le VIIIe et le XIIIe siècle. Cependant, même au XIIème siècle, des contestations contre le déboisement et l’exploitation de la terre à des fins productives agraires existaient déjà/ Alessandro Stanziani ajoute : "les résistances sont importantes, plusieurs acteurs se rendent compte de la nécessité de préserver les forêts afin d'avoir de bonnes récoltes à côté, mais aussi pour des intérêts économiques, politiques et sociaux. Cette résistance est celle d'un capitalisme que j'appelle foncier, agraire et quasi industriel, qui va du XIIe au XIXe siècle".

De 1870 à 1970 : vers un modèle productiviste et une surexploitation de l'élément terre

Pendant ces décennies, l’exploitation des ressources de la terre et le système capitaliste connaissent des changements majeurs, marqués par une intensification remarquable. Alessandro Stanziani précise : "dans l'agriculture et dans le pays du Nord, la mécanisation est très lente, mais on constate un changement  significatif avec les semences. Après la crise de 29 aux Etats-Unis, on s'intéresse aux semences hybrides. Il y a des investissements massifs, on donne des semences hybrides aux fermiers américains et ensuite, on vend ces mêmes semences à l'Europe avec l'aide du plan Marshal et on impose aux agriculteurs européens d'avoir recours aux semences hybrides. L'avantage des semences hybrides, ce sont des rendements faramineux, ça commence par le maïs, la plante des plaines américaines, et de fait on arrive à nourrir de plus en plus de population à l'échelle mondiale. L'inconvénient c'est que les semences hybrides ont une durée de vie très courte, de un ou deux ans. Pour qu'elles soient rentables il faut beaucoup de fertilisants chimiques. Les producteurs de semences produisent aussi les fertilisants chimiques, ils sont gagnants des deux côtés. Par ailleurs, ces producteurs ont le monopole et l'exclusivité de ce marché. Enfin, les rendements des hybrides commencent à décroître après 20 ans."

De 1970 à 2050 : spéculer sur le capital Terre

Les bouleversements majeurs ont lieu pendant les années 1970 : la fin du système de Bretton Woods, les chocs pétroliers, le déclin du keynésianisme et de l’État social en Occident et le début des réformes en Chine. Par ailleurs, la spéculation sur les produits agricoles s’élargit aux terres elles-mêmes : il ne s’agit pas seulement d’échanger des produits virtuels dont la plupart ne verront jamais le jour, mais de contrôler ces flux hypothétiques à l’échelle mondiale. Selon Alessandro Stanziani "avec le néolibéralisme des années 80 et surtout dans les années 1990, on assiste à la libéralisation totale des Bourses de marchandises, avec les spéculations sur les matières premières et sur le blé, et on arrive jusqu'aux crises de 2008/2010 et jusqu'au crise de nos jours sur la vie chère. C'est-à-dire que c'est une pénurie qui est provoquée, non pas par de mauvaises récoltes, mais surtout par les spéculations".

Le Pourquoi du comment : économie et social
3 min

Références sonores

  • Lecture Les raisins de la colère, John Steinbeck, 1939
  • Extrait du Seigneur des anneaux, film de Peter Jackson, 2001
  • Lecture d’un extrait de La Terre , Zola, 1887
  • Archive INA sur la modernisation de l’agriculture, 1961, RTF (Rhône Alpes actualités)
  • Interview de Arnaud Apoteker, porte-parole de Greenpeace France, dans un supermarché en 1996

Bibliographie

Alessandro Stanziani :  Capital Terre. Une longue histoire du monde d’après (XIIème au XXIème siècle) , Payot, 2021
Kenneth Pomeranz : Une grande divergence. La chine, l'Europe et la construction de l'économie mondiale (Albin Michel, 2021)

Références musicales

Pêcheur et paysan, par Bourvil, 1949
Y tu te vas, par La Femme, 2022

L'équipe