D'où vient l'idée qu'il y a des races ? : épisode • 1/4 du podcast Peut-on penser la race sans l'essentialiser ?

Ségrégation ©Getty - Kickstand
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Quelle est l’histoire de ce concept qui oscille dès le départ entre le politique, le social et le biologique ? Et pourquoi avons-nous tant de mal à en finir avec l’idée qu’il existe une pluralité de races humaines, ancrées dans le biologique ?

Avec
  • Gaëlle Pontarotti Philosophe, post-doctorante à l'IHPST
  • Carole Reynaud-Paligot Historienne, chercheuse associée à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et enseignante à l'Université de Bourgogne

Histoire de la notion de race

La notion de race s’est imposée au XVIIIe siècle dans le milieu des sciences naturelles, au cœur d'un contexte scientifique spécifique qui se caractérisait par une volonté d’ordonner la nature. L’esprit du temps est alors au classement : hommes, plantes, animaux, tout doit être classé. Alors que la classification des plantes est formalisée par le botaniste suédois Carl von Linné, les zoologues cherchent à appliquer la même méthode au monde animal. Et de l’animal, ils arrivent à l’être humain. En effet, les savants ont déjà observé les ressemblances entre l’homme et les grands singes, les anthropoïdes. À cet effet, une science s’institutionnalise : l’anthropologie. En vertu d’une démarche qui se veut scientifique, chaque race se voit définie par ses caractéristiques physiques.

"Linné et Buffon divisent l’humanité en plusieurs variétés, ils ne parlent pas toujours de races", analyse Gaëlle Pontarotti. Ils représentent deux approches : une approche externaliste chez Buffon et une approche internaliste chez Linné. "Pour Buffon, ce sont les circonstances qui font les variétés humaines. Il y a un type originel qui est l’homme blanc, et ensuite il y a une dégénération, les individus dégénèrent en fonction du climat et des mœurs. Linné est beaucoup plus fixiste et pour lui la race est inscrite dans les germes."

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Esclavagisme et colonialisme

En Europe, aux États-Unis mais aussi au Japon, en Amérique du Sud, dans les empires coloniaux, des savants observent la diversité physique des hommes, mesurent des êtres vivants et des squelettes. Cependant, l’entreprise de classification n’est pas neutre. Dans un contexte marqué depuis le XVIe siècle par la domination des puissances européennes sur une partie du monde, domination qui a pris la forme de la réduction en esclavage de plusieurs millions d’êtres humains.

"Très vite, la hiérarchisation commence parce qu’il y a un enjeu scientifique et idéologique. Mais, il y a aussi un contexte politique qui favorise cette hiérarchisation, c’est que depuis quelques siècles une vaste entreprise de domination des nations européennes a été entreprise à travers l’esclavagisme puis s’est recomposée sous la forme du colonialisme. Dans ce contexte fortement hiérarchisant, les théories scientifiques subissent les influences de cette entreprise de hiérarchisation. Les races ne sont pas seulement déterminées mais elles sont hiérarchisées", développe Carole Reynaud-Paligot. "Comment légitimer ce qui est injustifiable ? En infériorisant les populations que l’on veut dominer. C’est ce qui se déroule dans ce processus : on avait des représentations variables de populations africaines et peu à peu ce sont les représentations dévalorisantes qui s’imposent car elles sont utiles à justifier quelque chose."

Décolonisation

L'époque de la décolonisation d'après-guerre est un contexte qui pourrait rebattre les cartes de toutes les théories essayant de penser le concept de race. Entre 1950 et 1967, il y a quatre déclarations qui sont faites à l'UNESCO, notamment une, célèbre, donnée par Levi Strauss qui a donné lieu à son livre Race et Histoire (1952).

"La race est redéfinie par ces experts à l'aune de la génétique des populations. Cette discipline étudie la répartition des variants génétiques dans les populations humaines notamment. Dans ce contexte, la race est redéfinie non plus comme un type mais comme une population en évolution. À l'approche typologique du XIXe siècle, selon laquelle la race est un groupe homogène disjoint des autres, on oppose l'idée que la race est une population en évolution, chaque race se distingue par la fréquence des variants génétiques. Il y a donc des différences quantitatives et non plus qualitatives entre les populations, et par conséquent une continuité entre les populations humaines et dans ce contexte la classification devient une convention arbitraire", explique Gaëlle Pontarotti.

Essentialisation et naturalisation

Avant l'épigénétique, on pensait que les gènes étaient complètement imperméables à l'environnement. Pour l'épigénétique, il y aurait une influence de notre environnement, les conditions de vie sociales et matérielles, sur les gènes.

Quelle est la différence entre essentialisation et naturalisation ? "On peut considérer dans un premier temps que naturaliser revient à essentialiser. C'est à dire que le fait d'inscrire la race dans la nature et dans les corps conduit à considérer que la race est une propriété essentielle et non accidentelle. Les individus seraient nécessairement noirs ou blancs. Mais, en réalité, on peut considérer que l'on peut inscrire la race dans le corps sans l'essentialiser, et c'est le cas par exemple dans des approches plus contemporaines. C'est le cas pour l'approche épigénétique dans laquelle l'idée est que les groupes raciaux subissent des discriminations qui ont une incidence sur la physiologie. Pour autant, la marque corporelle associée à la race est ici réversible et accidentelle"".

Bibliographie

Sons diffusés

  • Tout simplement noir, film de Jean-Pascal Zadi et John Wax, 2020
  • Archive : Aimé Césaire, Au cours de ces instants, France Culture, 27 janvier 1966
  • Archive :  discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, 26 juillet 2007
  • Archive : Willy Sagnol, Tout le sport, France 3, 5 novembre 2014
  • Chanson : Claude Nougaro, « Armstrong »

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