Inflation : toujours la même histoire ?

Une manifestante le 27 octobre 2022 lors de la journée de mobilisation appelée par la CGT ©AFP - Geoffroy Van der Hasselt
Une manifestante le 27 octobre 2022 lors de la journée de mobilisation appelée par la CGT ©AFP - Geoffroy Van der Hasselt
Une manifestante le 27 octobre 2022 lors de la journée de mobilisation appelée par la CGT ©AFP - Geoffroy Van der Hasselt
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Alors que les salaires progressent moins vite que l’inflation, la question de leur augmentation s'invite dans le débat public, tandis que le gouvernement continue d’évacuer fermement cette piste. L’augmentation des salaires est-elle la solution pour regagner du pouvoir d’achat ?

Avec
  • Éric Monnet Économiste, professeur à la Paris School of Economics (PSE) et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
  • Guénaëlle Gault Directrice générale de l’ObSoCo, l’Observatoire société et consommation

Guillaume Erner reçoit Eric Monnet, historien de l’économie et macro-économiste, professeur à la Paris School of Economics (PSE) et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de *L a banque-providence, démocratiser les banques centrales et la monnaie *(Seuil, 2021), et Guénaëlle Gault, sociologue et politiste, directrice générale de L'ObSoCo (L'Observatoire Société et Consommation).

Le ressenti de l’inflation, différent selon les ménages

D'après Guénaëlle Gault, le taux d’inflation actuel, à 6,1 % en moyenne, n’est pas ressenti par tous de la même manière : « l’inflation va toucher davantage les ménages les plus modestes parce que les dépenses de première nécessité pèsent beaucoup plus lourd sur les revenus de ces derniers : l’électricité, le gaz pour se chauffer, et l’alimentation » en premier lieu. Guénaëlle Gault détaille qu’en France, « l’inflation porte beaucoup plus sur des achats réguliers et des postes de dépenses contraintes. L’inflation est ainsi de 11,8 % pour l’alimentaire. Le poisson, les viandes blanches et l’huile » font notamment l’objet d’une hausse de prix qui « peut dépasser les 20 ou 30 % parfois » selon elle.

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Selon Eric Monnet, « l’inflation non seulement crée des inégalités mais elle les reflète aussi, c’est-à-dire qu’elle rend visible des conflits sociaux qui étaient là avant, elles les cristallisent et les rend beaucoup plus visibles. Ça a toujours été le cas dans les épisodes d’inflation. »

Une réflexion de long terme sur la consommation

Guénaëlle Gault trouve nécessaire de réfléchir à la soutenabilité sociale de nos modes de consommation car ceux-là « sont sans arrêt attisé par la publicité et les normes sociales. Avec l’augmentation des prix, on est dans une tension cognitive entre les aspirations et les contraintes de consommation. On souhaite par exemple davantage de qualité, manger plus équilibré ou davantage de rémunérations pour les producteurs, plus de local aussi. De l’autre côté, on a les contraintes et les inégalités. »

Eric Monnet explique qu'« on pourrait imaginer que les gens se redirigent vers une consommation plus locale, plus biologique, mais le problème est qu’il y a quand même une partie de l’alimentation industrielle dont on ne peut pas se passer donc, au final, cela réduit quand même le pouvoir d’achat car les prix augmentent. On n’a donc pas vu ce déplacement vers des produits plus biologiques », plus chers que l’alimentation industrielle.

Le directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales voit « un rôle à jouer pour les pouvoirs publics : accompagner ces déplacements. On commence à le voir dans le domaine de l’énergie où le gouvernement essaye d’orienter les consommateurs vers une énergie décarbonée qui serait moins chère. Cela reste la manière la plus simple, la plus directe de lutter contre l’inflation : orienter la consommation vers des produits moins chers. »

Des modes de mobilité différents d’avant la crise sanitaire

La demande s’adapte toutefois à l’inflation dans certains secteurs comme celui des transports. D'après Guénaëlle Gault, « la mobilité n’a pas repris comme avant la crise sanitaire, c’est-à-dire qu’il y a à peu près un tiers des Français qui ne sont plus dans les mobilités qu’ils avaient avant crise. Par choix, pour certains, car ils ont découvert qu’ils pouvaient s’organiser autrement avec le télétravail, sans les transports en commun, qui deviennent par ailleurs plus compliqués. »

La numérisation de nos modes de vie handicape le secteur culturel

Beaucoup d’« industries culturelles » comme le cinéma ou l’édition se plaignent de voir les consommateurs les déserter. Ce n’est toutefois pas qu’une question d’inflation comme pour l’alimentaire, selon Guénaëlle Gault : « l’accélération de comportements que l’on a vus pendant la crise sanitaire, c’est la numérisation de nos modes de vie. Avec la suppression de la mobilité, on a adopté de nouveaux comportements justement pour se divertir, pour se cultiver, et ces comportements perdurent » au-delà de la crise sanitaire.

Augmenter les salaires, une stratégie payante pour lutter contre l’inflation ?

« En France, les salaires ont beaucoup moins augmenté que l’inflation l’année dernière, c’est une certitude », explique Eric Monnet. L'économiste explique que « c’est différent des Etats-Unis. Là-bas, les salaires ont beaucoup augmenté, à hauteur d’un niveau beaucoup plus proche de l’inflation. On pense même qu’une partie de cette hausse des salaires, et donc de la demande de consommation, a pu contribuer un peu à l’inflation aux Etats-Unis. Ce n’est pas du tout le cas en Europe ou en France. Nous nous retrouvons dans une situation où il y a une perte de pouvoir d’achat. Il est donc nécessaire que les salaires rattrapent un peu l’inflation », défend-il.

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