Chantiers des stades : des travailleurs jetables : épisode • 2/4 du podcast Qatar : le Mondial de toutes les dérives

Des travailleurs œuvrent sur un chantier au bord de la capitale qatarie Doha alors que se dessine une tempête de sable à l'horizon, le 17/05/22 ©AFP - Karim Jaafar
Des travailleurs œuvrent sur un chantier au bord de la capitale qatarie Doha alors que se dessine une tempête de sable à l'horizon, le 17/05/22 ©AFP - Karim Jaafar
Des travailleurs œuvrent sur un chantier au bord de la capitale qatarie Doha alors que se dessine une tempête de sable à l'horizon, le 17/05/22 ©AFP - Karim Jaafar
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Des milliers de travailleurs immigrés originaires d'Asie du Sud recrutés en amont du mondial sont désormais renvoyés de l'émirat sans anticipation ni compensation après avoir été exploités au service des chantiers des stades. Une manière pour le Qatar de minimiser la tragédie dont il est l'auteur.

Avec
  • Sebastian Castelier Journaliste indépendant
  • Tristan Bruslé Chercheur au Centre d'études himalayennes du CNRS
  • Claire Beaugrand Chercheuse CNRS à l'IRISSO Paris-Dauphine

Une vie qui ressemble à un enfer mais qu’il faut pour quelques jours ou quelques semaines parer des atours du carnaval. Les images circulent depuis la mi-novembre sur les réseaux sociaux de groupes de supporters brésiliens, argentins, portugais circulant dans les rues de Doha avec des maillots de foot de leur équipe bien sûr, des perruques, des drapeaux et des langues de belle-mère : des scènes qui plongent la capitale qatarie dans une ambiance de fête avant l'heure. Sauf qu’à y voir de plus près, ces supporters ne parlent pas leur langue natale. Au Brésil, en Argentine, au Portugal on s'est interrogé à voix haute : ces passants tout sourire ne seraient-ils pas des Indiens, des Népalais grimés en fans de foot ? Le cas échéant, et même si la pratique est en fait assez courante, il s'agit d'un extravagant retournement de situation pour ces travailleurs migrants que le Qatar a, au contraire, tout fait pour invisibiliser, les destinant à des baraquements insalubres loin des grandes villes, leur interdisant l’accès de certains parcs ou centres commerciaux. La Coupe du monde et ses chantiers pharaoniques auront mis en lumière les conditions de travail, et de vie des quelque deux millions d’immigrés qui forment aujourd’hui 80 % de sa population.

Comment l’Etat qatari a-t-il organisé l’afflux migratoire de ces travailleurs non-qualifiés, d’abord pour l’industrie pétrolière, puis gazière, puis pour les stades du Mondial ? Quelles réformes du droit du travail a-t-il entrepris sous la pression des ONG mais aussi de certains travailleurs migrants qui ont mené le combat de l’intérieur ?

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Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Sebastian Castelier, journaliste indépendant ainsi que Tristan Bruslé, chercheur au Centre d’études himalayennes et au CNRS.

"Le Qatar a mis en place des réformes majeures et importantes dans son droit du travail, qui vont dans la bonne direction. La réforme de la kafala a aboli ce système qui donnait tous les droits aux employeurs et leur permettait d'abuser avec beaucoup de facilité d'étrangers qui travaillaient pour eux. La vraie question est : est-ce que ces réformes seront-elles mises en pratique ? Elles sont très bien tombées au niveau timing, elles font plaisir à l'opinion internationale juste avant le lancement de la Coupe du monde. La vraie réponse interviendra néanmoins en 2023 : est-ce que le pays continuera à aller de l'avant, à mettre en place des réformes une fois que les supporters seront partis ?", note Sebastian Castelier.

"Le système de la kafala est une sorte de système de délégation de la responsabilité de l'Etat vers ses citoyens. Tout qatari peut être parrain, "kafil", d'un travailleur étranger. Il se porte alors garant de celui-ci et lui permet de résider et de travailler. C'est une manière d'impliquer la société qatarie dans la protection de l'entière communauté.", ajoute Tristan Bruslé.

Pour aller plus loin :

Seconde partie : le focus du jour

Au Koweït, rétablir l’équilibre entre nationaux et immigrés

Un policier koweïtien arrête un manifestant lors d'une marche des travailleurs immigrés bangladais pour demander de meilleurs salaires, Koweït City, 28/07/08
Un policier koweïtien arrête un manifestant lors d'une marche des travailleurs immigrés bangladais pour demander de meilleurs salaires, Koweït City, 28/07/08
- Yasser Al-Zayyat

Autre émirat à la population modeste et aux ressources en hydrocarbures abondantes, le Koweït nourrit lui aussi un rapport ambivalent aux travailleurs étrangers. Courroie de transmission indispensable au développement économique du pays, ils font aussi l’objet de campagnes de xénophobie récurrentes et de déclarations tapageuses telles que celle formulée par l’actrice Haya Al-Farad ou encore l’annonce d’une "rekoweïtisation" du marché du travail formulée par le Premier ministre al-Sabah à l’été 2020.

Avec Claire Beaugrand, chargée de recherche au CNRS.

"Les politiques publiques au Koweït travaillent à la réduction du nombre d'étrangers et de la proportion des étrangers dans l'émirat. Le Premier ministre lui-même en temps de pandémie avait annoncé qu'il y avait un nouvel objectif de réduction des étrangers pour qu'ils représentent désormais 30 % de la population du pays au lieu des 70 % actuels, donc une réduction drastique et complètement irréalisable. Ces discours ne sont pas du tout nouveaux. En 2011, on avait le même genre d'objectif, on visait les 45 % d'étrangers dans la population. Ou encore, en 2013 c'était très populaire de dire qu'on allait déporter 100 000 étrangers par an pour réduire le nombre d'étrangers à un million..." observe Claire Beaugrand.

Références sonores

  • Qatar : les travailleurs de l'ombre ( France 24 - 28/10/22)
  • Kuwaiti actress Hayat Al-Fahad during show on Covid-19 : we should throw foreign workers into desert ( Memri TV - 03/04/20)

Références musicales

Une émission préparée par Barthélémy Gaillard.

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