Affaire Hanouna : comment le groupe Bolloré influence-t-il le climat idéologique français

Cyril Hanouna sur le plateau de l'émission "Touche pas à mon poste". ©Maxppp - Frédéric Dugit
Cyril Hanouna sur le plateau de l'émission "Touche pas à mon poste". ©Maxppp - Frédéric Dugit
Cyril Hanouna sur le plateau de l'émission "Touche pas à mon poste". ©Maxppp - Frédéric Dugit
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Après la vive altercation entre Cyril Hanouna et le député Louis Boyard dans l'émission "Touche pas à mon poste" la semaine dernière, retour sur la façon dont l'animateur de C8 et son patron, Vincent Bolloré, pèsent sur le débat public en France.

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Des invités qu’on ne retrouve nulle part ailleurs

« Cyril Hanouna dit que, si son émission marche tellement bien, c’est parce qu’il invite des gens qui ne sont pas invités ailleurs. Dans une certaine mesure, c’est vrai » explique Daniel Schneidermann. En effet, continue le journaliste, « le présentateur est l’un des premiers à saisir le mouvement des Gilets jaunes, à inviter des Gilets jaunes en plateau, et leur donner la parole » sur le plateau de "Touche pas à mon poste" (TPMP).

La France Insoumise, premier parti politique présent sur le plateau de Cyril Hanouna

Dès 2013, « Jean-Luc Mélenchon a été le premier homme politique qui est allé parler dans l’émission de Cyril Hanouna. En plus, le présentateur surjoue des relations affectives avec les politiques. Cette relation entre la France Insoumise et Cyril Hanouna a duré jusqu’à la semaine dernière » c'est-à-dire jusqu'au « clash » entre l'animateur vedette et l'élu de la République, souligne Isabelle Roberts.

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En revenant sur l’émission du lundi 14 novembre, Daniel Schneidermann précise qu’« en général, Cyril Hanouna essaye d’avoir sur son plateau les « pour » et les « contre » quel que soit le sujet. Et là, pour la première fois depuis je regarde l’émission, il n’y avait pas de contre, c’est-à-dire que les Insoumis ont refusé de revenir sur le plateau pour évoquer l’incident de la semaine précédente. » C’est pourquoi, continue le journaliste, « Cyril Hanouna a dû construire une émission d’un unanimisme terrifiant ! C’était deux heures contre Louis Boyard, accusé d’être un lâche, de ne chercher que le buzz. Pour la première fois, l’émission était obligée de renoncer à l’illusion du pluralisme. Louis Boyard a pour la première fois mis à nu le dispositif de l’émission », car il a évoqué « le tabou suprême : les activités de Vincent Bolloré » au Cameroun.

Un incident de plateau parmi d’autres

Alors que « CNews est une chaîne de droite et d’extrême droite, avec une tonalité uniformément conservatrice » au sein du groupe médiatique de Vincent Bolloré, il est plus compliqué de marquer politiquement des émissions comme celle présentée par l’animateur Cyril Hanouna sur la chaîne C8 explique Daniel Schneidermann : « on se marre bien en la regardant mais ce n’est pas que du divertissement : c’était une émission de débats de société, sur les questions de genre, de sécurité, d’identité, avant qu’Hanouna ne saute à pieds joints dans la politique. Maintenant on a affaire à une espèce de monstre hybride. »

Pour Isabelle Roberts, Touche pas à mon poste est *« * une émission qui fonctionne sur un mode binaire, le mode des « clashs », qui peuvent se produire entre invités et chroniqueurs ou entre chroniqueurs ». Mais même si des insultes ont été proférées en direct sur le plateau par Cyril Hanouna à l’encontre d’un élu qui déclenche une vive polémique, la journaliste souligne que cette séquence télévisuelle « dit autre chose car Louis Boyard a prononcé le mot interdit : Bolloré. »

Bolloré, un mot interdit au sein de son propre groupe

Daniel Schneidermann renchérit en rappelant que l’actionnaire Vincent Bolloré ne permet pas qu’on le critique au sein de son propre groupe médiatique. Ce que confirme Isabelle Roberts : « au sein du groupe Canal+, à Europe 1, chez Paris Match ou au JDD, le nom de Bolloré est tabou, c’est un peu comme un dieu, on l’appelle « l’actionnaire » ou « il ». Le nom de Vincent Bolloré déclenche des cataclysmes. Et il y a un autre mot intéressant dans cette émission (au cours de laquelle l’animateur a insulté l’élu), c’est celui de « loyauté ». C’est le credo de Vincent Bolloré. C’est à ce titre qu’il a viré la quasi-totalité de la rédaction d’i-Télé il y a six ans aujourd’hui, le 16 novembre 2016, le jour de la fin de la grève » au sein de la rédaction de la chaîne. « Il faut que ses salariés soient loyaux et ça, on le retrouve dans le discours de Cyril Hanouna » conclut la journaliste.

Privilégier l’agenda idéologique aux intérêts économiques

« Outre les pitreries de Cyril Hanouna, on a aussi une recrudescence des sujets religieux, qui sont une autre facette » de la stratégie de Vincent Bolloré explique Isabelle Roberts.

Et d'après Daniel Schneidermann, c’est cette question qui « distingue le cas de Vincent Bolloré des autres milliardaires et propriétaires de médias en France ». En effet, rappelle le chroniqueur, « il va tenter de mettre ses médias au service d’une idéologie et au service de ses propres convictions, nationalistes et catholiques. Il a clairement un agenda idéologique. Paris Match par exemple, juste après la prise de contrôle de Vincent Bolloré sur ce média, avait consacré sa Une au cardinal Robert Sarah, l'un des porte-paroles de la ligne dure du Vatican. C’est la première fois que l’on voit à ce point un propriétaire de presse privilégier ses intérêts idéologiques sur ses intérêts économiques de son groupe ».

Une absence de loi sur la concentration des médias

Isabelle Roberts avance qu’« il y a un problème de concentration des médias en France » et donne l’exemple de Vincent Bolloré qui détient notamment le groupe Vivendi (groupe Canal+) et une part importante de Lagardère (JDD, Europe 1, Paris Match, etc.). Concernant le droit, la journaliste souligne qu’« on s’attaque à ce problème avec des outils de l’âge de pierre. Il y aurait urgence à revoir la loi, à la fois la loi sur l’audiovisuel et la loi qui régit les concentrations entre différentes sortes de médias parce qu’aujourd’hui, ce n’est plus du tout adapté. Et cette situation permet des positions comme celle de Vincent Bolloré ».

Daniel Schneidermann ajoute qu'« il y a une raison très précise pour laquelle cela ne se fait pas. Aucun des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années n’a osé affronter les milliardaires propriétaires de médias, en édictant des règles sévères de limitation de la concentration. Dès que vous avez un politique qui ose attaquer frontalement Vincent Bolloré, il arrive ce qui est arrivé à une petite échelle à Louis Boyard sur le plateau de Cyril Hanouna ».

Le Billet politique
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