Iran : les révoltes contre le régime sont-elles en passe de devenir une révolution ?

Rassemblement à Paris des Iraniens de France en solidarité avec les femmes iraniennes et le mouvement de protestation en Iran, le 30 octobre 2022. ©Maxppp - Olivier Donnars / Le Pictorium
Rassemblement à Paris des Iraniens de France en solidarité avec les femmes iraniennes et le mouvement de protestation en Iran, le 30 octobre 2022. ©Maxppp - Olivier Donnars / Le Pictorium
Rassemblement à Paris des Iraniens de France en solidarité avec les femmes iraniennes et le mouvement de protestation en Iran, le 30 octobre 2022. ©Maxppp - Olivier Donnars / Le Pictorium
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Est-on à l'aube d'un changement de régime en Iran ? La rue peut-elle faire plier le régime des mollahs et ainsi ouvrir une nouvelle page de l'histoire de la République islamique ?

Avec
  • Mahnaz Shirali Sociologue, politologue et spécialiste de l’Iran
  • Adel Bakawan Directeur du Centre français de recherche sur l'Irak (CFRI)

Depuis la mort de Mahsa Amini, jeune Kurde de 22 ans, le 16 septembre dernier, le mouvement de contestation qui cible la République islamique et son Guide suprême Ali Khamenei ne faiblit pas en Iran. Mais alors que cette révolte gagne une partie grandissante de la population, la répression du régime, elle, se durcit, notamment dans le Kurdistan iranien. Comment se terminera ce bras de fer entre une partie de la population dont la détermination semble s’intensifier, et un pouvoir toujours plus répressif ? La fin du régime est-elle inéluctable ?

La répression se radicalise

Mahnaz Shirali met en avant le fait qu’aujourd’hui, en Iran : “la répression se radicalise, surtout dans les villes frontalières, qui sont loin de la capitale iranienne. J’ai l’impression que la République islamique pense que les regards des Occidentaux sont rivés sur les grandes villes, qu'elle peut faire ce qu’elle veut avec les villes lointaines du Kurdistan et du Baloutchistan.” La sociologue précise que depuis le début de la contestation, “15 000 personnes ont été arrêtées ces deux derniers mois, mais on connaît l’identité de seulement 3 000 d’entre eux, ce qui inquiète énormément les défenseurs des droits de l’homme en Iran et à l’étranger”. En définitive, pour la politologue, le régime des mollahs est “un pouvoir politique qui ne sait pas faire autrement que de réprimer la société. Cela fait 43 ans qu’il règne par la peur, et aujourd’hui il continue d’être fidèle à lui-même. Il règne par la terreur et le massacre.”

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Sortir des grilles de lecture traditionnelles

Mahnaz Shirali explique que la jeunesse porte la contestation : “ce qui se passe actuellement en Iran échappe aux anciens cadres de pensée. Il faut connaître la jeunesse d’aujourd’hui pour comprendre qu’elle a sa propre organisation, son propre mode d’expression politique. Il ne faut pas la sous-estimer. Les jeunes s’organisent sur les réseaux sociaux, ils sont à l’aise avec l’espace virtuel, ils communiquent” sur Instagram, Twitter, mais aussi Clubhouse.

La remise en cause de la religion joue également une part importante dans le mouvement, avance la spécialiste de l’Iran. “Ce qui le différencie des mouvements précédents, c’est son caractère antireligieux ou de sortie de la religion. C’est un mouvement qui n’a aucune référence religieuse. Il faut avoir un nouveau cadre de compréhension pour l’analyser”, explique-t-elle.

Adel Bakawan, quant à lui, lie les deux analyses et souligne que “le régime fait tout pour accentuer la ligne de démarcation confessionnelle entre chiites et sunnites. Mais cette stratégie ne fonctionne pas. Celle qui est devenue le symbole de la contestation est une Kurde, c’est désormais un référentiel de la jeunesse iranienne.” Pour le directeur du CFRI, “il faut adopter d’autres grilles de lecture pour comprendre la contestation. La nouvelle organisation de cette jeunesse moyen-orientale n’a pas forcément besoin d’une présence organique des partis. Elle s’organise avec d’autres comportements, d’autres stratégies d’action. Nous ne sommes plus dans un registre confessionnel, mais dans un registre national”. Adel Bakawan ajoute : “le mouvement n’est pas contre la religion, mais contre la grille de lecture imposée par le régime islamique de l’Iran”.

Le régime des mollahs est-il voué à tomber ?

Tandis que Mahnaz Shirali n’hésite pas à qualifier le “mouvement politique de révolutionnaire” car il montre une “volonté de renverser le régime”, Adel Bakawan parle plutôt de mouvement : “je ne parle pas de révolution, de révolte, mais plutôt de mouvement de contestation qui existe en Iran, au Liban, en Irak. Il s’agit d’un grand mouvement, et dans ce mouvement l’acteur kurde est un acteur primordial.” Quant à savoir s’il peut faire tomber la république islamique, le spécialiste interroge : “est-ce que ce mouvement de contestation peut, pourrait, pourra changer le régime ? Dans l’état actuel, non. Est-ce qu’il peut impacter le régime ? Oui. Quand ce mouvement pourra-t-il changer ce régime ? Lorsque dans les grandes villes comme Téhéran, comme Ispahan, quand des centaines de milliers de manifestants descendront dans la rue.

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