La lutte contre la pauvreté est-elle devenue une science ?

L' antenne locale des Restos du cœur de Bourg-en-Bresse reprend ses distributions dans le cadre de la campagne hiver 2022-2023. ©Maxppp - Laurent THEVENOT / LE PROGRES
L' antenne locale des Restos du cœur de Bourg-en-Bresse reprend ses distributions dans le cadre de la campagne hiver 2022-2023. ©Maxppp - Laurent THEVENOT / LE PROGRES
L' antenne locale des Restos du cœur de Bourg-en-Bresse reprend ses distributions dans le cadre de la campagne hiver 2022-2023. ©Maxppp - Laurent THEVENOT / LE PROGRES
Publicité

Avec Esther Duflo, économiste, professeure de lutte contre la pauvreté et d’économie du développement au département d'Économie du MIT. Celle qui a été la corécipiendaire du prix Nobel d'économie est aussi titulaire de la chaire Pauvreté et politiques publiques au Collège de France.

Avec
  • Esther Duflo Économiste franco-américaine et professeure, prix Nobel d'économie 2019

Comprendre l’économie avec des albums jeunesse

En collaboration avec l’illustratrice Cheyenne Olivier, Esther Duflo a publié une série d’albums jeunesse où sont présentés différents exemples de lutte contre la pauvreté. Par exemple, l’économiste revient le rapport des personnes pauvres à la grande ville dans l'album  Neso et Najy Même pas peur de la grande ville : “aujourd’hui dans les pays en développement, il y a une espèce de terreur de la surpopulation urbaine. Alors que le vrai problème est que les gens ne veulent pas déménager dans les villes, et donc que les crises qu’ils vivent dans les villages sont très difficiles à surmonter".

Dans l’album Oola En avant les élections !, la question de la gouvernance est abordée. “Dans de nombreux pays, il y a une décentralisation importante où une partie non négligeable des fonds sont dépensés et choisis localement. L’album se concentre sur cette gouvernance locale à la fois parce qu’elle est importante mais aussi parce qu’elle est plus facile à illustrer pour les enfants” explique la prix Nobel. Celui intitulé Afia Qui saura la guérir ? revient sur la lutte contre le paludisme : “pour cet exemple, le discours a changé et le monde a compris que la distribution gratuite de moustiquaires était la manière la plus efficace de couvrir un maximum de gens. Tout le monde s’est mis ensemble sur ce problème. On voit ainsi le lien entre l’expérience et la vie des gens” souligne l'économiste.

Publicité

Crise alimentaire et mondialisation

Concernant la crise alimentaire actuelle, liée au conflit entre la Russie et l’Ukraine, Esther Duflo explique que le recul n’est pas encore assez important pour bien en saisir les conséquences : “on n’a pas encore visibilité. Sur quelques mois, sur un an, les gouvernements des pays pauvres sont capables de venir en aide à leurs citoyens, soit en soutenant les prix alimentaires, soit en les aidant directement par des transferts financiers par exemple”.

Pour la prix Nobel, la “raréfaction conjoncturelle vient du conflit entre la Russie et l’Ukraine, car l’Ukraine est le grenier à blé du monde. Beaucoup de pays pauvres recevaient leurs grains de ce pays. Mais l’ampleur de cette raréfaction n’est pas suffisante pour causer une famine. Il y a même aujourd’hui suffisamment de nourriture pour nourrir le monde entier, et en laisser un peu de côté. C’est la répartition de cette nourriture qui n’est pas juste, ni équitable”.

Mais comme le rappelle l’économiste, ce phénomène est la “conséquence d’une mondialisation qui est mal gérée, mais aussi inégale et injuste. Le problème n’est pas la mondialisation en tant que telle, qui pourrait permettre d’utiliser au mieux et de manière plus rationnelle, et meilleure pour le climat, les ressources dont nous disposons. Mais il faudrait que ce soit assorti d’un système de commerce international qui fonctionne bien, même pendant les crises, et qui comprend une part d’assurance et de solidarité”.

Comment lutter contre la pauvreté ?

Esther Duflo explique que “ces peurs que nous avons, de notre position cossue, où il ne faut pas être trop gentil avec les pauvres parce que cela les rendrait paresseux, et que ce ne serait pas bien pour eux, elles sont simplement infondées par rapport à la réalité des expériences que vivent les gens. Il y a une idéologie qui est extrêmement persistante et partagée par une grande partie des citoyens”.

Dans une expérience que l’économiste a menée, les résultats ont montré que “par introspection, on se rend bien compte qu’une aide, que ce soit l’assurance santé, l’assurance chômage, le revenu universel ne nous rendrait pas paresseux, mais on pense que cela rendrait paresseux les autres. C’est une politique qui est très impopulaire parce qu’on ne veut pas être les seules personnes qui restent à travailler pour financer la retraite des autres”. Et ajoute la prix Nobel : “parce que c’est une position qui est répandue, même si elle est incorrecte, elle devient politiquement favorisée, que ce soit dans les pays riches ou dans les pays pauvres”.

Sur la question du revenu universel, Esther Duflo avance qu’”en France, on sait très bien cibler qui en aurait le plus besoin. Plutôt qu’un revenu universel, il s’agirait d’un revenu garanti minimum qui serait repris au fur et à mesure que les gens s’enrichissent. Dans des pays plus pauvres, savoir où cibler est plus compliqué, on peut tout à fait se poser la question d’un revenu universel de base”.

L'équipe