Fuir l’Occupation, artistes et penseurs français à New York pendant la guerre : épisode • 4/4 du podcast Les Français aux États-Unis, une histoire

Photographie de passagers qui admirent la New York Skyline depuis un bateau. ©Getty - Earl Leaf/Michael Ochs Archives
Photographie de passagers qui admirent la New York Skyline depuis un bateau. ©Getty - Earl Leaf/Michael Ochs Archives
Photographie de passagers qui admirent la New York Skyline depuis un bateau. ©Getty - Earl Leaf/Michael Ochs Archives
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Au début des années 1940, universitaires, journalistes et artistes quittent la France occupée pour rejoindre New York. Cette intelligentsia en exil, parfois vivement critiquée par ses concitoyens restés en métropole, participe à faire de New York le nouveau centre du monde intellectuel.

Avec
  • Emmanuelle Loyer Historienne, professeure à Sciences Po Paris, spécialiste de l’histoire culturelle des sociétés contemporaines
  • François Chaubet Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris Nanterre, spécialiste de l'histoire de la vie intellectuelle et littéraire françaises

Qu’est-ce que l’exil ? C’est une peine, une condamnation, une authentique disgrâce. C’est également une fuite, à la recherche d’un refuge, pour sauver sa peau, ou pour poursuivre des activités. Dans tous les cas, l’exil induit un éloignement, une séparation, un dépaysement, mais aussi la découverte, la rencontre, et pourquoi pas l’inspiration. Qu'en est-il pour les Français et les Françaises qui quittent la France occupée, pendant la Seconde Guerre mondiale, pour les États-Unis ?

L'exil des universitaires et artistes à New York

À partir de 1940, certains des intellectuels et des artistes que le statut des Juifs et la censure de Vichy empêchent de travailler font le choix de s’exiler à New York. La sociologie de cet exil est particulière. La difficulté d’obtenir un visa, le coût de la traversée, et les réseaux de solidarité sur lesquels reposent ces circulations réservent cet exil à une certaine élite sociale et intellectuelle.

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L’arrivée à New York de ces exilés, parmi lesquels se trouvent notamment Antoine de Saint-Exupéry, André Breton, Pierre et Hélène Lazareff ou encore Claude Lévi-Strauss, est un choc profond. Pour ces universitaires et artistes déracinés, New York représente un gigantesque espace d’effervescence intellectuelle. Claude Lévi-Strauss, en confrontant ses théories aux apports d’autres sciences humaines, forme l’anthropologie structurale, tandis qu’au contact des artistes de l'avant-garde new yorkaise, les surréalistes français se mettent à l’expressionnisme abstrait. En 1942, les universitaires français en exil fondent L'École libre des hautes études de New York, véritable bastion de résistance intellectuelle, et posent les bases d’un savoir universitaire fondé sur l’interdisciplinarité. Emmanuelle Loyer, professeure d'histoire contemporaine à Sciences Po Paris, évoque la vision que Claude Lévi-Strauss porte sur New York : "il exprime l'idée d'un changement d'échelle de la ville américaine, notamment de New York où tout est plus grand. Selon lui, New York est le conservatoire, le carambolage des temps, le moderne, et l'archaïque." La bande surréaliste dont il fait partie a un "regard émerveillé sur la ville qui est comme une caverne d'Ali Baba".

Concordance des temps
58 min

Les exilés français et leur influence politique aux États-Unis

Cette communauté d’exilés se distingue également par sa forte politisation. Les revues, tribunes, ouvrages et controverses, par articles interposés au sujet de la politique de Vichy ou du gaullisme, se multiplient. Le gouvernement américain lui-même utilise à son avantage ce groupe d’intellectuels en exil, en leur proposant d’organiser et d’animer une section française au sein de la mythique radio Voice of AmericaFrançois Chaubet, professeur d’histoire contemporaine, souligne que "les immigrés français agissent politiquement aux États-Unis. L'exil français est un exil politique". Ainsi, "certains exilés refusent d'apprendre l'anglais, comme André Breton (...). De nombreux Français défendent le monopole de l'universel français, une rivalité franco-américaine demeure".

Comment cette intelligentsia en exil a-t-elle contribué à faire de New York le nouveau centre du monde intellectuel et artistique ? À leur retour, comment ces exilés ont-ils été accueillis en France ? S’exiler, est-ce résister ? Est-ce trahir ?

Matières à penser
43 min

Pour en parler

Emmanuelle Loyer est professeure d'histoire contemporaine à Sciences Po Paris, spécialisée dans l'histoire culturelle des sociétés contemporaines.
Elle a notamment publié :

François Chaubet est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris Nanterre. 
Il a notamment publié :

Le Pourquoi du comment : histoire

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Références sonores

  • Chanson Grand-maman c'est New York de Charles Trenet, 1947
  • Archive de Claude Lévi-Strauss sur New York dans l'émission Ping-Pong Paris-New York, France 2, 1977
  • Archive de Jean Renoir sur son exil en Amérique en 1940
  • Archive de Pierre Lazareff sur l’enregistrement de la voix du président Roosevelt à destination des Français, Canal +, 1997
  • Archive de propagande d'un éditorial de Philippe Henriot sur l'Amérique, La Voix de l’Amérique, 1942
  • Archive de Roman Jakobson sur l'École libre française de New York, ORTF, 1970
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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