Mettre la nature sous cloche : les parcs naturels en question : épisode • 2/4 du podcast Biodiversité : l’imparfaite protection

Une touriste prenant en photo des hyènes dans le Parc national Kruger lors d'un safari guidé, Afrique du Sud, 03/04/22 ©AFP - Michele Spatari
Une touriste prenant en photo des hyènes dans le Parc national Kruger lors d'un safari guidé, Afrique du Sud, 03/04/22 ©AFP - Michele Spatari
Une touriste prenant en photo des hyènes dans le Parc national Kruger lors d'un safari guidé, Afrique du Sud, 03/04/22 ©AFP - Michele Spatari
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Trouver un accord pour protéger un tiers des espaces terrestres d'ici à 2030 : voilà l'un des principaux enjeux de la COP15 qui s'ouvre mercredi 7 décembre. Mais derrière cette notion de protection se joue une bataille politique sur la meilleure manière de préserver la nature.

Avec
  • Guillaume Blanc Historien, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Rennes 2
  • Jean-Christophe Bokika Ngawolo Fondateur de l’ONG M’Bou Mon Tour (RDC)

En 1784, Thomas Jefferson, l’un des pères de la jeune nation américaine, déclarait : "la nature de l’Amérique doit faire l’admiration du monde". Moins d’un siècle plus tard, en 1872 précisément, les Etats-Unis créaient le premier parc naturel au monde, le célèbre Yellowstone. 880 000 hectares d’une nature vierge de toute trace humaine qui incarnent à eux seuls l’avènement du conservationnisme. Ce courant de pensée qui entend séparer strictement l’homme de la nature pour mieux préserver cette dernière a depuis essaimé puisque des parcs, réserves et autres aires protégées ont fleuri un peu partout sur la planète. Mais bien souvent, cette sacralisation d’une nature primitive produit les mêmes effets, tout particulièrement en Afrique et en Asie : expulsions violentes, déracinement et pertes de repères, criminalisation de la chasse, affrontements avec les écogardes. Des difficultés économiques et sociales qui poussent les sociétés civiles à tenter d’élaborer des contre-modèles de protection de la biodiversité plus inclusifs.

Sur quels présupposés le modèle conservationniste repose-t-il, et en quoi peut-il servir des intérêts impérialistes et coloniaux au détriment de populations locales ? Comment la conservation est-elle aussi devenue un business dominé par un oligopole de puissants acteurs privés ? Et enfin, comment les populations locales peuvent-elles reprendre la main et réaffirmer leur souveraineté sur ces terres tout en préservant la biodiversité ?

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Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Guillaume Blanc, historien de l’environnement à l’université Rennes-2 et membre de l’Institut universitaire de France.

"Ces parcs sont créés à la fin du XIXe siècle, notamment en Afrique, là où on a encore beaucoup de faune. A l'époque, la colonisation représente un choc écologique sans précédent avec une déforestation qu'on estime 4 à 5 fois supérieure à celle du siècle précédent ou encore avec la surchasse de la faune alentour menée entre autres par les scientifiques pour gonfler les collections des musées nationaux d'histoire naturelle en métropole. Les colons étaient incapables de voir qu'ils étaient en fait responsables de la destruction écologique qui se déroulait devant eux. Ils ont au contraire blâmé les Africains ou les Asiatiques et décidé de mettre "en parc" des réserves où ils se sont arrogés le droit de chasse. Dans les années 30, sous l'impulsion de ces mêmes chasseurs, ces réserves vont devenir des parcs nationaux. A partir de cette période s'installe une logique de sanctuarisation de la Nature, et avec elle l'expulsion systématique des populations vivant dans ces aires protégées.", observe Guillaume Blanc.

Néanmoins, la logique conservationniste a survécu à la décolonisation. Pourquoi les Etats africains ont-ils continué à créer des aires protégées, parcs naturels et autres réserves alors même que cette fétichisation de la nature les empêche d'en exploiter les ressources ? Guillaume Blanc estime qu'ils trouvent un intérêt économique alternatif : " Les parcs nationaux et le tourisme qu'ils génèrent peuvent représenter par exemple pour le cas de la Tanzanie jusqu'à 20 % du PIB chaque année. Et puis il y a l'intérêt politique. Créer un parc naturel est un moyen de planter un drapeau dans un espace que l'Etat peine à contrôler... ".

Pour aller plus loin :

Seconde partie : le focus du jour

RDC : A Bolobo, la communauté au service de la biodiversité

Loin du modèle standard de délégation des espaces protégés à des entreprises internationales défendant une stricte séparation entre les humains et la nature, des initiatives alternatives émergent sur le continent africain. A 300 kilomètres au nord de Kinshasa, les habitants de la région de Bolobo se sont constitués en association pour construire une relation harmonieuse avec les singes. Un projet né de la société civile qui inspire aujourd’hui les lois de protection de la nature votées par le pouvoir congolais.

Avec Jean-Christophe Bokika Ngawolo, fondateur de l’ONG M’Bou Mon Tour à l’origine de la gestion communautaire de la protection de la biodiversité dans la région de Bolobo (RDC).

"Nous ne parlons pas de parc car nous ne faisons pas de conservation classique. Dans ce modèle dominant, les décisions sont prises par un Etat ou une ONG internationale dans un bureau climatisé de Kinshasa puis imposées aux communautés locales. A l'inverse, notre initiative part des communautés locales elles-mêmes, après qu'elles ont constaté la déforestation et la raréfaction des espèces animales. Les habitants de la région de Bolobo ont pris la décision de protéger leur faune, leur forêt et de réduire la pression sur celles-ci. Ici les communautés locales ont décidé de coexister avec la faune sauvage, dont les bonobos. [...] Nous travaillons sans écogardes, la surveillance est participative, il n'y a pas de mesures policières.", explique Jean-Christophe Bokika Ngawolo, à propos du fonctionnement de son ONG.

Références sonores

  • Scott Frazier chante les louanges du parc Yellowstone à l'occasion des 150 ans du parc en 2022 ( Youtube)
  • En 2018, la présidente chilienne Michelle Bachelet inaugurait l’ouverture d’un parc naturel en vantant les mérites de l’approche conservationniste américaine ( AP Archive - 03/02/18)
  • Dans le parc national de Sapo, au Libéria, les écogardes mènent des campagnes de sensibilisation auprès des populations locales pour éviter le braconnage des espèces protégées ( Youtube - 21/05/19)
  • RDC : Rangers vs rebelles ( Arte reportage - 2020)
  • Témoignages d’habitants de la région de Bolobo et de membres de l’ONG de préservation de la nature expliquant que les singes et les humains vivent historiquement en harmonie et en relation constante ( Youtube - 10/10/21)

Références musicales

  • " Nan Fon Bwa" de Mélissa Laveaux
  • "Sunshine recorder" de Boards of Canada

Une émission préparée par Jules Crétois et Barthélémy Gaillard.

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