Mexique : le filon touristique des vestiges mayas : épisode • 3/4 du podcast Civilisations d’hier, pouvoirs d’aujourd’hui

Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador lors de la pose de la première pierre du projet du Train maya, Etat du Quintana Roo, Mexique, 01/06/20 - Elizabeth Ruiz
Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador lors de la pose de la première pierre du projet du Train maya, Etat du Quintana Roo, Mexique, 01/06/20 - Elizabeth Ruiz
Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador lors de la pose de la première pierre du projet du Train maya, Etat du Quintana Roo, Mexique, 01/06/20 - Elizabeth Ruiz
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En 2018, le président mexicain lance un méga-chantier : le Train maya, 1500 kilomètres de rails pour relier les sites mayas des provinces reculées et pauvres du sud-est du Mexique. Celles-ci peinent à profiter de la manne touristique alors même qu'elles disposent d'importants sites archéologiques.

Avec
  • Elodie Bordat-Chauvin Maîtresse de conférence à l'Institut d'études européennes de Paris 8, spécialiste des politiques culturelles européennes
  • Josemaría Becerril Aceves Doctorant en anthropologie à l’EHESS
  • Magali Demanget Maîtresse de conférences en ethnologie à l’université Paul Valéry Montpellier 3 et membre de l’UMR Savoirs, Environnements et Société

C’est au milieu de la jungle mexicaine, sa forêt sèche et dense et ses innombrables grottes de calcaire, que doit passer le Train maya. Un éléphant blanc, c'est ainsi que l'on nomme ces infrastructures coûteuses qui ne servent finalement à rien ni à personne. Celui-ci évoluera au milieu des jaguars, des perroquets à tête jaune et des ratons-laveurs.

L’immense chantier ferroviaire est déjà bien entamé dans la péninsule de Yucatan au sud-est du Mexique mais aussi dans les quatre autres Etats où doivent être posés ces 1500 kilomètres de rails : Etats du Campeche, du Quintana Roo, du Chiapas, et de Tabasco.

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Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador a lancé ce projet dès son élection en 2018 et il a promis de l'achever avant la fin de son mandat en 2024. Le train permettrait selon celui de mieux relier les sites de vestiges mayas et les stations balnéaires entre eux pour faire bénéficier les recettes du tourisme aux régions les plus pauvres. Ce calcul fait débat dans le pays.

Que nous dit ce projet de “Train maya” de la façon dont la culture préhispanique est utilisée comme outil de développement ? Le président Lopez Obrador veut-il mettre la culture maya au service d’un nationalisme de gauche ? Si les vestiges d’avant la colonisation espagnole sont à l’honneur, pourquoi les populations indigènes sont-elles encore majoritairement en marge de la société ?

Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Elodie Bordat-Chauvin, sociologue en politique à l’université Paris 8 et au laboratoire CRESPA ainsi que Josemaría Becerril Aceves, doctorant en anthropologie à l’EHESS.

"Pour les personnes dont les habitations vont être détruites par le passage du train, le gouvernement a proposé un rachat des terrains à 30 centimes d'euros le mètre carré. Il a aussi promis de reconstruire des habitats et de revaloriser les terres une fois le projet aboutit, ce qui séduit les populations concernées, pauvres pour la majorité. Mais si 98% des consultés se sont montrés favorables au projet, seulement 2% de la population avait répondu au sondage. Les textes de consultation n'ont pas été traduits, or les communautés concernées ne parlent pas toutes l'espagnol. Et les terrains sont des propriétés collectives, l'avis donné est celui du porte-parole, non de tout un chacun", note Elodie Bordat-Chauvin.

Andrés Manuel Lopez Obrador a affirmé que la mise en place des rails permettrait de réaliser de nouvelles fouilles. Josemaría Becerril Aceves explique que "la question des fouilles archéologiques est très complexe car les indigènes cultivent aujourd'hui leur maïs là où il y a des vestiges. Le rapport entre les vestiges et leur agriculture est très important. Si le gouvernement retrouve ces vestiges, il va les extraire et les amener dans des musées. Ce ne serait pas la première fois qu'il déclare des vestiges mayas comme propriétés de la nation mexicaine".

Pour aller plus loin :

Cultures Monde
58 min

Seconde partie : le focus du jour

Le label "Pueblos mágicos", outil controversé de valorisation du patrimoine indigène

Des villageois réalisent une dance rituelle à Huautla de Jimenez pour la fête des morts, promue comme patrimoine immatériel culturel de l'humanité en 2003, Mexique
Des villageois réalisent une dance rituelle à Huautla de Jimenez pour la fête des morts, promue comme patrimoine immatériel culturel de l'humanité en 2003, Mexique
© Getty - Alfredo Martinez

Au début des années 2000 le secrétariat au tourisme du Mexique créé le label "Pueblos mágicos" ("peuple magique" ou "village magique"). Attribué à plus d’une centaine de municipalités mexicaines, ce label valorise le patrimoine matériel des villes moyennes mais surtout les traditions, les coutumes, voire les "expériences" que le visiteur peut vivre auprès des locaux. En 2015 la ville de Huautla de Jimenez, "capitale" de la culture indigène mazatèque dans l’Etat de Oaxaca, s’est vue décerner le précieux label. Mais quelles sont vraiment les retombées économiques pour la population ?

Magali Demanget, maîtresse de conférences en ethnologie à l’université Paul Valéry Montpellier 3 et membre de l’UMR Savoirs, Environnements et Société. Elle est l'autrice de Le commerce de la Chair des dieux. Chamanisme et modernité en terres mazatèques publié aux Presses Universitaires de Rennes en 2022.

"Le label Pueblos mágicos a valorisé l'image de Huautla de Jimenez. Mais une étude indépendante réalisée sur la ville montre que son apport économique a plutôt été un échec : les retombées économiques pour les plus pauvres que le label était supposé engendrer ne sont pas visibles. A cela s'ajoute les problèmes de privatisation de la culture de la ville et de commercialisation à outrance de ses biens culturels, déjà apparents avant 2015. Le label n'y est pour rien", explique Magali Demanget.

Références sonores & musicales

  • Promotion officielle du Train maya ( Youtube - 23/11/18)
  • Mexique : plébiscite pour le projet de "train maya" ( euronews - 16/12/19)
  • Un mégaprojet de train contesté au Mexique ( Radio-Canada Info - 18/01/22)
  • Le Mexique demande officiellement pardon aux Mayas ( France 24 - 04/05/21)
  • Deux youtubeur américano-mexicains font le promotion des villages "pueblos magicos" ( Youtube - 17/12/21)
  • "New seeds" de Boards of canada
  • " El traketeo" de Pahua et Barzo (2021)

Une émission préparée par Mélanie Chalandon.

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