Il y a un siècle, l’envol avorté du foot féminin 

Salut cordial avant le coup d'envoi entre la capitaine de l'équipe de France, Carmen Pomiès, et la capitaine anglaise Florrie Redford.
Salut cordial avant le coup d'envoi entre la capitaine de l'équipe de France, Carmen Pomiès, et la capitaine anglaise Florrie Redford.
1921 : l’envol avorté du foot féminin
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Il y a un siècle, l’envol avorté du foot féminin 

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Dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, les matches disputés par un club de football féminin, le “Dick, Kerr Ladies FC”, attirent jusqu’à 50 000 spectateurs. Un engouement populaire auquel la fédération anglaise met un terme en 1921 en retirant aux joueuses l'accès aux stades.

S’il y avait eu des téléphones portables à l’époque, il y aurait eu plein de selfies avec les Dick, Kerr Ladies”, ironise l’historienne Gail J. Newsham, qui a exhumé l’épopée méconnue de cette équipe dans son livre In A League Of Their Own. 1917-1965 paru en 2014 aux éditions Parangon publishing.

En 1922, les Dick, Kerr Ladies partent en tournée en Amérique du Nord.
En 1922, les Dick, Kerr Ladies partent en tournée en Amérique du Nord.

En 1917, tandis que les combats de la Première Guerre mondiale font rage, le championnat masculin de football est suspendu en Angleterre. Partout, les usines se reconvertissent en fabriques de munitions. C’est le cas notamment de l’entreprise ferroviaire Dick, Kerr & Co, du nom des deux propriétaires, William Bruce Dick et John Kerr - la virgule dans le nom n’est donc pas une anomalie.

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Les "munitionnettes" : de l’usine au terrain

Dès lors, les ouvrières, que l'on va surnommer les "munitionnettes", remplacent les hommes sur les chaînes de production et dans les équipes sportives d’entreprise. Nombreuses sont celles qui ont perdu un frère, un père, un mari. Ces femmes ont alors une idée pour aider les familles des soldats : organiser des matchs pour collecter des fonds, afin d’aider les familles endeuillées.

Au sein des Dick, Kerr Ladies FC, une joueuse s’illustre : Lily Parr. Grande, athlétique (elle mesure 1,83 m), elle excelle balle au pied. Si bien que la légende raconte qu’un jour, un gardien professionnel la met au défi de tirer un penalty. “ Lily a dit : ‘Très bien, mets-toi en place, raconte l’historienne galloise. Elle frappe, le gardien tend son bras pour arrêter le ballon mais la puissance de la frappe de Parr lui a cassé le bras !

Lily Parr, à gauche, a officié comme capitaine de l'équipe au cours de ses trente ans de carrière.
Lily Parr, à gauche, a officié comme capitaine de l'équipe au cours de ses trente ans de carrière.
© Getty

On raconte que l'ailière des Dick, Kerr Ladies FC avait en outre un sens de l’humour imparable et une aura qui lui a permis de devenir capitaine de l’équipe, malgré sa timidité. Mais contrairement à ce qu'ont pu laisser croire de nombreux récits a posteriori, qui ont souvent fait d'elle une icône, Parr ne fut pas la seule à exceller. Florrie Redford par exemple marqua 170 buts sur la saison 1920-1921.

L’engouement grandit autour de l’équipe, qui part en tournée en France. Avant d’atteindre son apogée : le 26 décembre 1920, le club joue au Goodison Park à Liverpool. 53 000 personnes sont dans les gradins, et plus de 10 000 derrière les grilles, faute de place. Ce record d’affluence tient toujours dans le championnat national féminin ; il est seulement dépassé par des matchs internationaux. “Pour ce match, elles ont collecté 3 115 livres, ce qui, aujourd’hui, vaudrait plus de 147 000 livres”, détaille Gail Newsham.

Le tournant de 1921

Tout le monde s'arrache désormais cette équipe féminine, pour remplir les stades et les tiroirs-caisses. Au cours de la seule année 1921, près de 900 000 personnes assistent à leurs matchs.

Mais la Football Association, la fédération britannique de football, ne profite pas de cette manne financière. Comme la guerre est finie, l’argent récolté bénéficie à des causes politiques, notamment ouvrières dans une période de tensions entre les mineurs, les syndicats et le patronat. Des préoccupations sociales qui tranchent avec celles de l’establishment. Résultat : le 5 décembre 1921, la fédération interdit le football féminin dans ses stades. La punition durera 50 ans.

Pendant plus de 50 ans, les "Dick, Kerr Ladies" ont échafaudé des plans pour contourner l'interdiction de jouer par la fédération britannique de foot.
Pendant plus de 50 ans, les "Dick, Kerr Ladies" ont échafaudé des plans pour contourner l'interdiction de jouer par la fédération britannique de foot.
© Getty

Pour échapper à l’autorité de la F.A., les joueuses empruntent des stades de rugby, d’athlétisme, ou jouent dans des parcs. Elles partent en tournée aux États-Unis en 1922 et y gagnent 3 de leurs matchs, contre des équipes masculines.

À leur retour en Grande-Bretagne, le paysage du football a changé et certaines équipes ont mis la clé sous la porte. Renommée les Preston Ladies, l'équipe résiste tant bien que mal. Lily Parr, pour sa part, trouve du travail dans un hôpital, où elle rencontre sa compagne Mary. Grâce à ses 30 ans sur les terrains et ses presque 1 000 buts, elle entrera au Hall of Fame du musée national du foot en 2002.

Quant à l’interdiction faite aux équipes féminines de jouer dans les stades administrés par la fédération britannique, elle est levée en 1971. La même année, une première Coupe du monde est organisée au Mexique. Les Dick, Kerr Ladies avaient raccroché les crampons à peine six ans plus tôt.