Adidas contre Puma : la rivalité des frères Dassler à l'origine du sportbusiness

À gauche, Rudolf, le volubile à l'esprit commercial ; à droite, Adolf, le passionné introverti. Les frères Dassler créeront respectivement Puma et Adidas.
À gauche, Rudolf, le volubile à l'esprit commercial ; à droite, Adolf, le passionné introverti. Les frères Dassler créeront respectivement Puma et Adidas.
Adidas et Puma, les frères ennemis
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Adidas contre Puma : la rivalité des frères Dassler à l'origine du sportbusiness

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La rivalité entre les frères allemands Adolf et Rudolf Dassler a vu la création de deux mastodontes du sportswear, Adidas et Puma. Mais elle a aussi stimulé les vices du sport moderne, entre sponsoring aux montants faramineux ou lobbying auprès d’autorités.

Coupe du monde 1970. Quelques secondes avant le coup d’envoi d’un match, le légendaire Pelé refait ses lacets. La scène dure. Il n’avait pas oublié de les serrer ; il touche 25 000 $ de la part de Puma, son équipementier, pour rendre visible ses chaussures en mondovision. Puma rompt ainsi le pacte de non-agression avec Adidas, l’entreprise de l’autre frère Dassler : personne ne devait toucher à la star brésilienne, jugée trop chère.

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À l’image de cette scène, coups bas et jeux d’influence ont rythmé l’ascension des deux gros poissons du textile sportif, Adidas et Puma. “C’est vraiment de cette rivalité que naît la notion de sport-business, d’argent dans le sport, de donner des dessous de table pour que tel ou tel athlète porte des chaussures”, résume Martine Delumeau, qui a coréalisé le documentaire “Dassler contre Dassler, Adidas contre Puma” avec Éric Wattez.

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Rudolf et “Adi”, deux frères complémentaires

Au commencement, il y avait donc deux frères : Adolf, le débrouillard introverti et Rudolf, le volubile à l’esprit plus commercial. Dans les années 1920, Adolf reprend l’entreprise familiale de pantoufles à Herzogenaurach, petite ville de Bavière. Son cadet de deux ans embarque dans le projet rapidement et ils en font une fabrique de chaussures de sport à succès, mus par un amour de l’athlète et de la performance. Les frères fournissent les athlètes allemands aux JO d’Amsterdam en 1928. Leur premier coup d’éclat, c’est Jesse Owens à Berlin en 1936 : l’athlète noir brille aux JO de l’Allemagne nazie avec quatre médailles d’or, des pointes Dassler aux pieds.

La fabrique de pantoufles familiale devient l'usine de chaussures des frères Dassler, à Herzogenaurach, dans les années 1920.
La fabrique de pantoufles familiale devient l'usine de chaussures des frères Dassler, à Herzogenaurach, dans les années 1920.

Mais leur différence de tempérament va mener à la rupture. “On parle de jalousie, très forte, notamment au moment de la guerre, puisque Rudolf est mobilisé et Adolf est démobilisé pour pouvoir s’occuper de l’entreprise, retrace Martine Delumeau. On a parlé aussi de rivalité entre les deux épouses, voire d’une tromperie.” Lors de la dénazification après la guerre, Rudolf soupçonne son frère de l'avoir dénoncé pour ses sympathies nazies - les deux ayant été membres du NSDAP.

Concurrence et valises remplies de billets

1948 marque leur rupture et chacun fonde sa propre entreprise. Adolf, dit “Adi”, monte Adidas et Rudolf crée Puma, chacun installé sur une rive de la ville. Leur rivalité nourrit l'innovation. Car, comme le dit Barbara Smit, autrice de Sport Business : Adidas, Puma... La guerre des logos : “avoir un bon ennemi ou un bon rival en tout cas, c'est un stimulant excellent pour se développer.” Si l’Allemagne gagne la Coupe du monde de foot 1954, sur un terrain gras, c’est grâce aux crampons vissés d’Adidas. Les ventes explosent et l’argent va alimenter les coups bas, avec les premiers partenariats sous le manteau. Cette pratique explose aux JO de Mexico en 1968.

Si la sélection hollandaise arbore un maillot à trois bandes, Johan Cruyff, à droite, est le seul à porter deux bandes : il est sponsorisé par Puma.
Si la sélection hollandaise arbore un maillot à trois bandes, Johan Cruyff, à droite, est le seul à porter deux bandes : il est sponsorisé par Puma.
© Getty

La légende dit qu'un agent Adidas et un agent Puma se baladaient avec des valises remplies de billets”, raconte Martine Delumeau. Aux mêmes olympiades, Adidas fait bloquer les produits Puma à la douane. “Le pauvre représentant Puma qui était venu des États-Unis pour distribuer les chaussures s’est même retrouvé quelques jours en prison, précise la journaliste Barbara Smit. C’était une rivalité tout à fait féroce !” Les deux fabriques se disputent alors les égéries du sport mondial. Puma s’attache les services de footballeurs brésiliens comme Eusébio et Pelé. Et aussi de Johan Cruyff, alors même que son équipe revêt du Adidas. Le footballeur est d’ailleurs obligé de masquer une des trois bandes sur ses équipements.

Aux JO de Rome en 1960, les chaussures de l’Allemand Armin Hary sur 100 mètres posent question. S’il gagne la finale avec des Puma, c’est avec des Adidas aux pieds qu’il monte la première marche du podium quelques minutes après. “C’est assez facile de deviner ce qui s’était passé dans les vestiaires entre-temps”, sourit Barbara Smit.

JO de Mexico 1968 : s'il gagne la course en Puma, l'Allemand Armin Hary montera sur le podium, quelques minutes plus tard, chaussé d'Adidas.
JO de Mexico 1968 : s'il gagne la course en Puma, l'Allemand Armin Hary montera sur le podium, quelques minutes plus tard, chaussé d'Adidas.
© Getty

Tels pères, tels fils

La rivalité se perpétue parmi la descendance, entre les fils respectifs, Gert, Horst et Armin. Et la ville d’Herzogenaurach, où les deux entreprises ont toujours leur QG, reste longtemps marquée par cette histoire. Dans les années 1970, les salariés “pumeraner” et les “adidassler” s’évitent dans la ville, ont chacun leur club de foot local ou leur boulangerie. On surnomme même la bourgade “la ville aux cous penchés”, allusion à l’habitude locale pour cerner à qui on a affaire.

Martine Delumeau évoque cette anecdote, entendue lors du tournage de son documentaire sur place : “Le petit-fils de Rudolf Dassler [fondateur de Puma] me racontait qu’ils avaient des cars scolaires, et que quand ils croisaient un car où il y avait des enfants Adidas, il y avait une course pour celui qui arriverait le premier à l’école.” Rien de tout cela aujourd’hui : les tensions sont apaisées et la rivalité se cantonne au terrain économique. De manière définitive ? Peut-être pas : en novembre 2022, pour redresser sa situation financière délicate, la firme Adidas débauche… le patron de Puma.