En Birmanie, quelle menace représente Aung San Suu Kyi pour la junte au pouvoir ?

Une manifestation en soutien à la dame de Rangoun en février 2021 ©AFP - STR
Une manifestation en soutien à la dame de Rangoun en février 2021 ©AFP - STR
Une manifestation en soutien à la dame de Rangoun en février 2021 ©AFP - STR
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Le procès-fleuve de la dirigeante birmane déchue Aung San Suu Kyi, renversée par l'armée début 2021, s'est achevé ce 30 décembre avec une peine de prison de sept ans supplémentaires pour corruption, soit 33 ans au total derrière les barreaux.

Avec
  • François Robinne Anthropologue, directeur de recherche au CNRS, membre de l’Institut d’Asie Orientale (IAO)

Largement remporté par Aung San Suu Kyi, le scrutin législatif de novembre 2020 sert de justification au coup d’Etat qui survient quelques mois plus tard en Birmanie... Mené par le général Min Aung Hlaing, en février 2021, ce putsch se présente comme une tentative de rétablissement de la légalité suite aux fraudes qui seraient intervenues dans le cours des élections. Rapidement poursuivie en justice par la junte militaire désormais au pouvoir, dix-neuf chefs d’accusation sont portés contre Aung San Suu Kyi. Et alors que les dix-huit mois de procès sont qualifiés de simulacre aussi bien par un certain nombre de groupes de défense des droits humains que par l’Union européenne ou les Nations Unies, la junte réussit malgré tout à écarter durablement Aung San Suu Kyi de la scène politique birmane.

La junte militaire birmane et la notion de justice

Dès son arrivée au pouvoir, la junte entame des poursuites contre Aung San Suu Kyi et le président alors en exercice Win Myint. Le procès-fleuve de Aung San Suu Kyi peut donc être compris comme une volonté de réécrire le narratif de l’histoire de la Birmanie contemporaine et justifier les coups de force. Selon François Robinne, les commanditaires du coup d’Etat ont basé leur rhétorique sur le respect de la constitution en vigueur depuis 2008, or ce texte a été élaboré par l’armée elle-même, servant de fait ses intérêts et positionnements. Le problème est donc en grande partie législatif dans la mesure où l’armée birmane n’est pas placée sous l’autorité d’un pouvoir civil élu ; la constitution de 2008 protège, à bien des niveaux, l’indépendance de l’armée birmane qui se trouve en position de force.

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Le levier de la justice est également utilisé par la junte au pouvoir pour asseoir son pouvoir à la tête de l’exécutif birman. En effet, plusieurs milliers de personnes ont été libérées des geôles birmanes en novembre 2022. Selon François Robinne, c’est le signe que le pouvoir birman est de plus en plus sous la pression de la justice internationale. En libérant environ 6 000 prisonniers politiques, la junte utilise le levier du droit pour montrer ses bonnes intentions. De plus, un certain nombre de prisonniers libérés rejoint ensuite les nombreuses milices sur le terrain et renforce le climat d’insécurité du pays.

Enfin, François Robinne pointe le fait qu’il reste 16 000 personnalités de droit commun : journalistes et personnalités de l’opposition derrière les barreaux. Le respect de la justice n’est vraiment qu’un vernis à destination de l’opinion internationale.

Le Nation Unity Government : un instrument d’opposition au régime militaire ?

Regroupant les forces politiques gagnantes de 2020 et basant sa légitimité sur ces élections, le gouvernement parallèle entend depuis deux ans s’opposer au régime militaire, avec l’aide de plusieurs groupes ethniques du pays. Le poids du NUG est conséquent en Birmanie où il contrôle une certaine partie du pays et fait office de véritable force coordinatrice. Le NUG maîtrise les zones centrales du pays, ce qui représente une réelle force d’organisation pour remettre en place les structures essentielles qui ont été détruites. Là où le NUG détient le pouvoir, il s’efforce de remettre en place les services publics centraux tels que les hôpitaux fermés par les militaires et les institutions scolaires boycottées par les populations locales.

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