Brésil enchaîné, les révoltes d'esclaves face à l'ordre colonial : épisode • 2/4 du podcast Histoire du Brésil en quête de liberté

Danse d'esclaves, toile de Carlos Julião, 1775 ©Getty - DeAgostini
Danse d'esclaves, toile de Carlos Julião, 1775 ©Getty - DeAgostini
Danse d'esclaves, toile de Carlos Julião, 1775 ©Getty - DeAgostini
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Révoltes, fuites collectives, mais aussi résistances discrètes et quotidiennes… Pendant trois siècles, les esclaves du Brésil ont déployé toute une panoplie de stratégies, individuelles ou collectives, pour échapper au système esclavagiste et ouvrir des brèches vers plus de liberté.

Avec
  • Charlotte de Castelnau L'Estoile Historienne, professeure à Sorbonne Université, spécialiste de l’histoire du Brésil colonial et de l’esclavage
  • Aurélia Michel Historienne, maîtresse de conférences en histoire des Amériques noires à l’Université Paris Cité

En 1698, François Froger, ingénieur-hydrographe engagé dans la Marine, fait paraître la Relation d'un voyage fait en 1695, 1696 et 1697 aux côtes d'Afrique, détroit de Magellan, Brésil, Cayenne et isles Antilles, par une escadre des vaisseaux du roy. Ses aventures sur les mers le conduisent à rencontrer des esclaves : "En vérité, le sort de ces malheureux est à plaindre ; ils naissent esclaves et à peine ont-ils force de remuer les bras, qu’on les fait travailler à la terre comme des bœufs ; ils sont mal nourris et pour la moindre faute on les assomme de coups de bâton ; ils voient vendre leurs enfants et quelquefois même leurs femmes". Ces hommes, ces femmes, ces enfants réduits en esclavage sont-ils restés passifs ? Ont-ils accepté l’oppression ou la domination sans se révolter ? Toute l’histoire des colonies ne serait-elle pas l’histoire des soulèvements d’esclaves, comme le disait Aimé Césaire ?

Matières à penser
44 min

Les complexités de la société esclavagiste

Deux images viennent à l'esprit quand l'esclavage au Brésil est évoqué. La première montre un esclave au corps marqué par le fouet, réduit à l'état d'objet et totalement soumis à son maître dans des plantations sucrières ou des exploitations minières. L'autre renvoie à un homme noir révolté, le front levé et le regard haut, qui préfère mourir plutôt que retomber en esclavage. La soumission ou la liberté, comme deux états opposés de la condition d'esclave, qui cachent en réalité la complexité des vécus des captifs africains et amérindiens au Brésil.

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Société esclavagiste la plus massive et durable de l'espace américain, le Brésil est le dernier pays du monde occidental à abolir l'esclavage en 1888. "Dans la société esclavagiste, la condition d'esclave est par nature intenable et instable, précise l'historienne Aurélia Michel. L'esclave a une position extérieure à la société par convention. En même temps, il y appartient totalement, puisqu'il y travaille, dort, mange et s'y reproduit, etc. Cette intériorité-extériorité est un paradoxe et une forte tension, qui embarque la société esclavagiste dans des dynamiques historiques. C'est particulièrement le cas du Brésil où l'institution de l'esclavage est centrale et présente dans toutes les composantes de la société."

LSD, La série documentaire
55 min

Les formes de résistances des esclaves

Certains courants historiographiques ont eu tendance à minimiser, voire invisibiliser les luttes des esclaves dans cette quête de la liberté. Révoltes, marronnage, sabotage de la production, mais aussi négociation des conditions de travail, recours juridiques ou encore création d'espaces de solidarité révèlent l'ampleur des compétences et du champ d'action des esclaves pour résister à la domination et à l'exploitation de la société esclavagiste du Brésil colonial. "L'historien du Brésil João José Reis dit que là où il y a esclavage, il y a résistance, souligne l'historienne Charlotte de Castelnau L'EstoileLa résistance ne va pas forcément jusqu'à la rébellion. D'autres formes existent : ne pas accepter le travail, négocier des espaces d'autonomie comme l’appartenance à des confréries, le droit au mariage, mais aussi le droit aux fêtes ou au tambour. On parle de résistance adaptative, c'est-à-dire à l'intérieur de la société esclavagiste." Aurélia Michel donne une exemple frappant des enjeux de la sortie de la condition d'esclave : "Certains esclaves choisissent de commettre un crime pour que la justice soit saisie et qu'il y ait un tiers qui intervienne dans la relation de toute puissance entre le maître et l'esclave."

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Pour en parler

Charlotte de Castelnau L'Estoile est professeure d'histoire moderne à Sorbonne Université, spécialiste de l'histoire du Brésil colonial, de l'histoire de l'esclavage et de l'histoire du catholicisme.
Elle a notamment publié :

Aurélia Michel est maîtresse de conférences en histoire des Amériques noires à l’université Paris Cité et chercheure au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA).
Elle a notamment publié :

Le Pourquoi du comment

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Références sonores

  • Archive d'Aimé Césaire dans l'émission Mémoires de France, France 3, 14 septembre 1982
  • Archive sur le livre Terre de Sucre de Gilberto Freyre dans l'émission Les livres et l'histoire, Antenne 2, 17 juillet 1975
  • Archive sur le quilombo dos Palmares évoqué dans l'émission Passeport pour l'inconnu, France Inter, 24 avril 1964
  • Archive sur la capoeira dans Les coulisses de l'exploit, RTF, 15 mai 1963
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

L'équipe