Pourquoi les Français ne veulent pas travailler plus longtemps ?

Collage à Bordeaux en réaction aux annonces d'Elisabeth Borne concernant la réforme des retraites, 11 janvier 2023. ©AFP - Philippe LOPEZ
Collage à Bordeaux en réaction aux annonces d'Elisabeth Borne concernant la réforme des retraites, 11 janvier 2023. ©AFP - Philippe LOPEZ
Collage à Bordeaux en réaction aux annonces d'Elisabeth Borne concernant la réforme des retraites, 11 janvier 2023. ©AFP - Philippe LOPEZ
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Elisabeth Borne a annoncé mardi les principales mesures de la réforme des retraites portée par le gouvernement. L'opposition appelle dès le 19 janvier à la mobilisation. Comment comprendre ce rejet de l'allongement de la durée de travail ?

Avec
  • Laurent Berger Ex- Secrétaire général de la CFDT, auteur de l'essai "Du mépris à la colère" (Seuil)
  • Luc Rouban Directeur de recherche au CNRS / CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), auteur de "La vraie victoire du RN" aux Presses de Sciences Po (2022).
  • Julia de Funès Philosophe française, spécialiste en management et ressources humaines

Contre la réforme : un appel à une forte mobilisation ?

Laurent Berger souligne que sa position et celle de la CFDT de s’opposer à la réforme des retraites s’appuie sur l’injustice qu’elle viendrait à créer : “la réforme ne nous paraît pas juste parce qu’elle va concerner d’abord les travailleurs les plus modestes qui ont commencé à travailler plus tôt, qui ont les métiers les plus difficiles. Le report de l’âge légal de la retraite est le paramètre le plus anti-redistributif qui soit” explique-t-il avant d’ajouter : “ceux qui seront les plus impactés sont ceux qui auront commencé à travailler entre 18 et 22 ans, parce qu’ils vont être obligés de travailler plus longtemps que les autres”.

Le secrétaire général de la CFDT insiste sur la nécessité d’une mobilisation importante aux côtés du front syndical uni qui s’est constitué pour l’occasion : “on appelle à des manifestations les plus massives possibles le 19 janvier partout en France”, d’autant plus qu’aujourd’hui “dans le monde du travail, cette réforme provoque beaucoup de colère et de ressentiment”.

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Une réforme qui pourrait profiter à l’extrême-droite ?

Laurent Berger déplore un manque de prise en compte du gouvernement du “profond sentiment de délaissement” qu’il a pu lui-même constater et, d’après lui, “qui malheureusement profite à l’extrême-droite”.

Luc Rouban abonde dans ce sens : “le Rassemblement national incarne cette droite sociale que Les Républicains ont totalement perdue de vue, en associant l’idée que l’Etat providence doit profiter avant tout aux nationaux, et en même temps, doit être généreux envers les catégories populaires, il touche une grande partie de l’opinion”. Le parti pourrait même en profiter pour élargir son électorat déjà important explique le chercheur.

Perte de sens : la faute à une technicisation et une intensification du travail ?

Julia de Funès évoque un “changement de paradigme” pour comprendre l’évolution du rapport au travail aujourd’hui : “le travail ne constitue plus une finalité, mais un moyen. Et c’est en partie lié à une technicisation accrue des tâches. Les fonctions se modernisent, se technicisent par nécessité concurrentielle. Or la technique c’est l’inverse du sens”.

Pour Luc Rouban, cette technicisation du travail s’accompagne d’une intensification. Le premier insiste sur le rôle néfaste d’un management trop présent : “certains métiers nécessitent un grand investissement personnel, psychique. L’individu se retrouve prisonnier du management qui est devenu une véritable culture de l’organisation. Le travail peut devenir invasif, et donc il y a des réactions de prise de distance” explique-t-il. Laurent Berger dénonce lui aussi cette intensification, trop peu abordée : “il y a une évolution du rapport au travail qu’il va falloir mettre sur la table. Il y a des pénibilités nouvelles. Par exemple, celles des travailleurs du “back office” : des horaires de travail disparates, une pression de la clientèle de plus en plus importante, des charges lourdes, etc.

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