L'économie selon les surréalistes : épisode • 50 du podcast L'économie selon...

Surréalisme et design dans l'exposition du CaixaForum à Barcelone, 27/02/2020 ©Maxppp - Quique Garcia/EFE/Newscom/MaxPPP
Surréalisme et design dans l'exposition du CaixaForum à Barcelone, 27/02/2020 ©Maxppp - Quique Garcia/EFE/Newscom/MaxPPP
Surréalisme et design dans l'exposition du CaixaForum à Barcelone, 27/02/2020 ©Maxppp - Quique Garcia/EFE/Newscom/MaxPPP
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Comment les surréalistes ont-ils pu marquer leur rejet du capitalisme tout en s’imposant progressivement dans le marché de l’art, jusqu’à devenir aujourd'hui des artistes incontournables du XXe siècle ?

Avec
  • Fabrice Flahutez Professeur d'histoire de l'art à l'université de Lyon-Saint-Etienne
  • Alice Ensabella Maîtresse de conférences en histoire de l'art contemporain à l’Université Grenoble Alpes, spécialiste du marché de l’art surréaliste

Le surréalisme domine l'histoire de la sensibilité du XXe siècle. Pourtant, ce mouvement n'a peut-être pas inventé une sensibilité nouvelle qui transfigurait déjà dans le romantisme du XIXe siècle : avec l’affirmation de la nature poétique de l'homme, l’appel aux puissances de la vie inconsciente, de l'imagination et du rêve et d’une espérance fondée sur une transformation de l'homme.
Ce mouvement est, pour ainsi dire, né d’une guerre : la Première Guerre mondiale qui remet en cause les frontières, les sociétés mais aussi les fondements mêmes d'une civilisation occidentale.

Des surréalistes anticapitalistes aux prises d’un marché de l’art florissant

Dès le premier Manifeste du surréalisme en 1924, André Breton déclarait qu’il fallait faire le procès de l’"attitude matérialiste" et le mouvement est fondé sur le rejet du capitalisme occidental, Fabrice Flahutez explique "le rejet du capitalisme n'est pas simplement le rejet de l'argent, c'est une posture, une prise de position à l'encontre d'un système qui malheureusement a failli. En effet, c'est la Première Guerre mondiale qui a engendré cette faillite. L'argent ne doit pas être l'horizon des artistes, on n'est pas artiste pour faire un métier et gagner de l'argent, on est artiste car on est animé par une nécessité intérieure. Et c'est cela le grand écart que promeut le surréalisme : se désengager des puissances de l'argent pour, peut-être, trouver les sources de la poésie", Alice Ensabella ajoute "l'idée de parler d'une aversion affichée vis-à-vis de l'argent, et du rapport entre la production artistique et littéraire et l'argent est très lié au contexte des années 20. Les années 20 voient surgir et se développer comme jamais auparavant le marché de l'art contemporain et d'avant-garde. Les codes de la clientèle et de la bourgeoisie d'après-guerre changent énormément, ce sont les années folles à Paris et un peu partout en Europe, et cette bourgeoisie plus libérée dans les mœurs s'approche de la bohème artistique de l'époque et essaye d'en reproduire le mode de vie, on assiste à un rapprochement entre ces deux mondes qui étaient jusqu'alors très lointains. Et cette bourgeoisie libérée commence à collectionner de plus en plus d'œuvres des artistes d'avant-garde".

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Entre surréalisme et capitalisme : il n’y a qu’un pas ?

En l’espace d’une dizaine d'années, l’art surréaliste va gagner en valeur rapidement et même exploser au sortir de la Seconde guerre mondiale, notamment grâce aux collections et à une promotion internationale. Selon Alice Ensabella "la reconnaissance du mouvement surréaliste à partir des années 30 aux États-Unis à un impact sur le succès que rencontrent les artistes surréalistes dans l'après-guerre. Avant la césure de la seconde Guerre mondiale, on assiste au déplacement du noyau du marché artistique parisien vers New-York et cela a un effet tout à fait bénéfique pour les artistes surréalistes, qui accèdent tout de suite à une reconnaissance muséale. Alfred Barr, le directeur du MOMA achète plusieurs œuvres dadaïstes et surréalistes déjà dans les années 30 et notamment à l'occasion de la grande exposition consacrée au mouvement qu'il organise en 1936". Par ailleurs, Breton, Tzara, Aragon et d'autres collectionnent des œuvres surréalistes et ils s'entraident les uns et les autres en échangeant de l'argent, Fabrice Flahutez ajoute "par exemple, dans la vente Duchamp/Picabia, on met en vente les œuvres de Picabia, et des amis viennent racheter les œuvres à la vente elle-même, ce qui crée à la fois une côte et donne un statut à Picabia, c'est une stratégie très intelligente. Et dans la correspondance de ces artistes, on retrouve énormément de citations d'argent, les gens parlent d'argent sans cesse car à cette époque les artistes se prêtaient de l'argent, ils se donnaient de l'argent à fonds perdus, ils s'entraidaient. Toute la correspondance est truffée de ce genre de demandes et de quêtes".

Pour aller plus loin

  • Julia Drost, Fabrice Flahutez et Martin Schieder : Le surréalisme et l'argent (Centre allemand d'histoire de l'art, 2021)
  • *" SurréAlice" *au Musée d'art moderne de Strasbourg et au Musée Ungerer, jusqu'au 26 février 2023

Références sonores

  • Lecture André Breton : Manifeste du surréalisme, 1924
  • Lecture Louis Aragon : Les beaux quartiers
  • Man Ray parle de sa rencontre avec Picabia, Duchamp,    Les nuits de France Culture sept 2019
  • Dali et l’argent, Archive INA Gros plan, 30/09/61

Références musicales

  • BO du film de Buñuel - Un chien andalou sur un scénario de Buñuel et de Salvador Dalí, sorti en 1921
  • «  Huge Fire », par Mount Eerie

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